Tomber amoureux d'un agent conversationnel : science fiction ou impact des relations parasociales ?
L'accélération des intelligences artificielles "empathiques" questionnent nos futurs émois.
Nouvelle édition d’En Vivance ! Il sera cette semaine question de sentiments et de frontière sensible entre l’humain et le robot.
Les relations parasociales sont un des nerfs de la guerre à venir, mélange de science fiction et d’attachement réel. Nous en parlions déjà en janvier dernier :
Les membres d’un public, les audiences, peuvent ressentir et développer une relation psychologique avec des artistes, des performers, des célébrités, que ce soit dans des fictions pures (par exemple une série) ou des mises en scène comme dans les talk-shows.
Ce qui est intéressant est l’effet d’entraînement qui se développe tant dans les réseaux sociaux avec des êtres a priori qu’on ne connaît qu’à travers un écran (comme un influenceur, un compte Instagram qu’on aime bien, une grande figure médiatique etc.) mais également envers les chatbots et autres agents conversationnels faits d’intelligence artificielle.
Mécaniques de commerce et développement de sentiments pour les robots : le modèle d’Heskett
En 2002, James L. Heskett proposait une échelle pour comprendre le comportement client. Si le domaine semble bien éloigné des relations amoureuses, il est pourtant éclairant pour comprendre nos débuts de “relations” avec les bots, de la simple anecdote à un vrai ancrage sentimental.
Stade de la “Possibilité” : À ce stade, les clients sont ouverts à la considération d'un produit ou d'un service mais n'ont pas encore pris de décision ferme. On pose une question à ChatGPT, on repart sans trop se poser de questions. Ou comme dirait l’autre “y’a moyen de moyenner”.
Fidélité “spasmodique” : Les clients effectuent des achats occasionnels répétés, indiquant un niveau de fidélité sans engagement constant. On a trouvé le robot ou agent conversationnel qui nous correspond, on a tendance à y revenir.
Fidélité par achat répété : Les clients deviennent des acheteurs réguliers, démontrant un engagement plus constant envers le produit ou le service. On devient des visiteurs réguliers et le robot commence à s’installer dans nos vies, comme véritable compagnon.
Engagement : Au-delà des achats répétés, les clients à ce stade recommandent activement le produit ou le service à d'autres, montrant une volonté de plaider en sa faveur. Le robot devient un personnage de nos vies numériques, avec plus ou moins d’affect.
Comportement d'apôtre : Le stade le plus élevé implique que les clients ne recommandent pas seulement mais convainquent activement d'autres personnes d'utiliser le produit ou le service. Ce niveau d'adhésion reflète une connexion émotionnelle profonde et un fort engagement envers la marque. En clair, nous nous sentons “investis” d’une mission, comme si nous étions en partie propriétaire du robot et de sa respectabilité.
Comme le rappelait Christian Salmon, “ChatGPT n’est pas qu’un robot, il est chacun de nous (…) l'amour n'est pas que de chair. Il ne se réduit pas à une pulsation cardiaque. C'est un phénomène de langage”.
Syndrome du propriétaire et vivance
Ce sentiment progressif de possession instille des niveaux toujours plus profonds d’attachement et donc une forme de responsabilité grandissante. Dans le cas d’une marque, il peut certes y avoir une dimension transactionnelle mais qui rapidement s’efface autour d’un ensemble de valeurs, de connivence culturelle, d’un sentiment d’appartenance. Et le développement d’un langage militant (les fans inconditionnels de Beyoncé se regroupent autour de #beyhive) voire carrément militaire (#BalmainArmy).
Dans le cas de l’amour, ce qui était auparavant une vieille ficelle de la science-fiction (un humain qui tombe amoureux d’un robot, d’un android….) est en train de s’enraciner dans un nouveau normal bien concret.
En Chine, les jeux de simulation de rencontres qui ciblent les femmes, également connus sous le nom de jeux otome, et les chatbots alimentés par l'intelligence artificielle touchent déjà des millions d’utilisatrices. Le principe des otome : des amants ou amoureux idéalisés et virtuels, à la croisée d’une vision fantasmée de l’amour tout en étant programmés pour agir quotidiennement. Un compagnon virtuel nommé “Him” a connu un certain succès ; chaque matin, il appelait les utilisatrices, laissait des messages reliés à des moments de vie de la personne humaine. Quand le service s’est arrêté faute de rentabilité, des milliers de gens en ont parlé sur Weibo, avec des termes proches du décès d’un proche ou d’un coeur brisé.
Le futur de ces robots serait à la croisée de deux mondes : la capacité à mieux cartographier des milliards de combinaisons, de choix, de besoins grâce à l’intelligence artificielle et l’injection d’une empathie humaine selon les fondateurs de Siena AI.
Finalement, le film Her de Spike Jonze pourrait avoir dès 2013 qualifier d’où la vivance prend en partie sa source si on relit cette tirade du personnage Samantha, l’intelligence artificielle dont Théodore tombe amoureux :
“C'est comme si je lisais un livre... et c'est un livre que j'aime profondément. Mais je le lis lentement maintenant. Donc, les mots sont vraiment éloignés et les espaces entre les mots sont presque infinis. Je peux toujours te sentir... et les mots de notre histoire... mais c'est dans cet espace infini entre les mots que je me trouve maintenant. C'est un endroit qui n'appartient pas au monde physique. C'est là où tout le reste est, que je ne savais même pas qu'il existait. Je t'aime tellement. Mais c'est là où je suis maintenant. Et c'est qui je suis maintenant. Et j'ai besoin que tu me laisses partir. Autant que je le veuille, je ne peux plus vivre dans ton livre.”
Her (Spike Jonze) - extrait d’un dialogue de Samantha
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