Les stans : entre culture fan et politisation
La façon dont les communautés de "stans" naissent et se structurent est un marqueur de notre temps.
C’est la 29ème édition d’En Vivance ! J’ai mis à jour la page “guide thématique”afin d’y voir plus clair. N’hésitez pas à faire tourner la newsletter et à me mettre un petit ‘like’ :) Vous êtes de plus en plus nombreux à commander l’essai chez vos libraires préférés, MERCI !
En 2019, le NY Times déclarait que nous étions entrés dans une nouvelle ère, où la culture fan impacterait le champ politique, dans un article visionnaire : “United We Stan” :
“C'est le produit d'une grande convergence entre la politique et la culture, la citoyenneté et le commerce, l'idéologie et l'esthétique. La participation civique s'est convertie sans heurts en une pratique de consommation . C'est la démocratie réinventée en tant que fandom et c'est maintenant le mode dominant pour vivre la politique.”
Amanda Hess
Les communautés de fans ne sont pas nouvelles ; les images de personnes en transe autour des Beatles ont fait le tour du monde des télévisions. Mais avec l'avènement des réseaux sociaux, c’est une toute nouvelle relation entre les fans et leurs idoles qui s’est construite. Les cris en face des caméras se sont transformés en milliards de partage, de “likes”, de fils de discussion à travers les réseaux sociaux. Des signaux accompagnés d’une certaine radicalisation également de la culture fan qui a besoin d’être comprise : l’ère des stans a tout juste débuté.
Mais c’est quoi alors, un stan ?
Le terme, popularisé en 2000 grâce à la chanson d’Eminem “Stan” (avec Dido) est en soi intéressant à déconstruire. Elle raconte l’histoire d’un fan qui développe une relation parasociale avec Slim Shady (l’alter ego d’Eminem), qui ne comprend pas que son idole ne lui réponde pas, jusqu’à conduire à la fin du clip à un massacre de sa famille et à son propre suicide. Une hyperbole qui a bien évolué depuis, avec des “stans” désormais bien plus liés entre eux et avec l’objet de leur attention, plutôt que la figure d’un loup solitaire compulsif.
De l’être à l’action
Lady Gaga, avec sa plateforme “Little Monsters”, a été précurseur. L’artiste a très tôt développé son propre réseau social dans lequel sa communauté a rapidement eu un rôle important autour de son travail créatif : appels à contribution, contenus partagés de façon exclusive et de façon beaucoup plus directe, visions du monde et forums de discussion. Little Monsters, c’est un nom, des symboles, et une forme d’idéologie.
Cet exemple prouve aussi une certaine urgence du côté des célébrités - ou nouveaux leaders d’opinion - de contrôler le narratif autour de leur personne. On le voit, la seule façon pour eux de pouvoir à peu près maîtriser leur réputation est de créer des systèmes quasi politiques autour d’eux. À défaut, les communautés se chargeront de non seulement promouvoir la personne mais également de lui adosser une histoire. Voire comme on l’a vu la semaine dernière de ne les considérer que comme “input”, l’intelligence artificielle se chargeant ensuite d’industrialiser la narration à la place du leader d’opinion !
Oprah Winfrey a souvent exprimé le besoin de contrôler en partie l’histoire véhiculée à son sujet. Un peu comme un 4ème de couverture, la célébrité doit rapidement écrire ou proposer une forme de contrat de lecture avec son audience, avec ses publics. Un effort de clarification nécessaire, au risque autrement de se faire déposséder sa propre nature.
"Si tu deviens célèbre sans comprendre qui tu es, la célébrité définira qui tu es."
Oprah Winfrey
Ce type de regroupement de fans a accéléré le passage d’un moment où aimer profondément l’univers d’une personnalité permettait de se définir soi, mais également de revendiquer son adhésion. Stan, qui était au début uniquement un nom, est aujourd’hui également un verbe. “I stan for” est fréquemment utilisé dans les conversations en ligne. Ce qui veut dire que les fans deviennent également des activistes, et n’hésitent plus à mettre une certaine pression sur les marques afin par exemple de pousser pour que leur idole puisse avoir une campagne internationale avec elles, ou au contraire à les défendre corps et âme quand elles sont attaquées.
Allégeance à la communauté
Un élément important des communautés de stans est la façon dont elles prêtent allégeance ; et d’une certaine façon organise leurs actions dans le but de pousser leurs intérêts. Sur Discord, les membres du serveur UNDW3 (Lacoste) organisent fréquemment des “raids” sur les autres réseaux sociaux afin de pousser leur marque fétiche chaque fois qu’un sondage important ou un appel à contribution est sollicité.
Autre exemple, les communautés structurées autour de Jisoo ont une impressionnante capacité à partager des informations, contenus ou initiatives qui gravitent autour d’elle, mais également à venir célébrer les initiatives créées par les marques. Bien plus bienveillante que d’autres communautés de stans, on constate une célébration de la créativité des membres, notamment autour du fanart partagé en ligne. Pas étonnant d’ailleurs que depuis la Corée du Sud, de nombreuses applications (comme Bubble) soient développées pour créer une impression de relation plus proche entre artistes et fans, en jouant avec les chatbots mais aussi l’intelligence artificielle. En soi, la relation parasociale étant acquise entre une communauté et une idole, il convient ensuite d’animer la vivance engendrée et de maintenir sa force à travers un mix de signaux et de récompenses. Il est clair qu’il ne s’agit pas de la vraie personne qui vous parle; à force de prendre l’habitude d’échanger avec un robot, à travers un champ lexical et des univers visuels bien calibrés, la vivance “prend”. La relation parasociale est certes très fictive avec la célébrité qui sans doute ne vous rencontrera jamais, en revanche les liens créés avec les autres fans sont eux bien réels. C’est un deal subtil entre ce que la communauté vous apporte et ce que vous êtes prêts à accepter en termes d’adhésion à ses valeurs, aussi fictionnelles soient-elles. Avec le risque d’un glissement vers des comportements très toxiques pour les stans les plus hardcore. On parle des Sasaeng en Corée du Sud, qui développent clairement des logiques de harcèlement. D’après certains manageurs de groupes, les idoles les plus connues sont suivies par 500 à 1000 Sasaeng chaque jour (!).
Toutes les démarches ne sont donc pas vertueuses : certains stans ont des démarches excessives y compris autour des créateurs de contenus qui peuvent se voir non seulement exposés à leurs stans mais surtout presque dépossédés de leur liberté d’expression ou du choix de travailler avec telle ou telle marque ou personne. D’où l’importance de cadrer assez vite les droits et les devoirs d’une communauté. Tout est politique.
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