Les sanctuaires de conversation
Des initiatives voient le jour pour recréer du lien social, entre bancs de l'amitié et zones sans smartphone, comme le café Dial à Tokyo.
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Converser ou démarrer un échange dans la vie réelle sont des activités qui ne semblent plus si naturelles. Les messageries instantanées, les réseaux sociaux ont pris le pas. À de nombreuses occasions, les gens se “rencontrent” en amont d’un événement : ajout sur LinkedIn d’un future nouveau collègue, échanges sur une messageries de rencontre avant un date (quand le rencard a vraiment lieu…).
En dépit de nombreuses sollicitations numériques pour créer du lien, la solitude est là et progresse. Différentes initiatives ont lieu à travers le monde, afin de créer des sortes de sanctuaires de la conversation. Signe des temps : il faut désapprendre les usages numériques pour revenir à de la fabrique à lien social.
La voix pour se reconnecter à l’autre
D’après une étude du JAMA Psychiatry, un coup de téléphone est un premier pas vers la solution. En effet, à l’issue d’une expérience où la moitié d’un groupe de participants recevait un appel d’un volontaire , ils étaient ensuite 20% à déclarer se sentir moins seuls.
Une vertu de la voix est qu’elle permet d’humaniser les interlocuteurs, y compris quand nous sommes en total désaccord avec eux. La voix nuance, laisse des respirations, met en place une gymnastique qui - sauf énorme clash ou dispute - aide à créer de l’empathie ou à défaut un espace plus sain. Le téléphone avant internet promettait d’avoir accès à la présence de l’autre. Et le répondeur servait alors à pallier l’absence. Des décennies plus tard, il n’est pas si étonnant que 17% des “Gen Z” envoient des voice notes au moins une fois par jour d’après GWI.
Le design social au service de la qualité des échanges
Le café Dial (contraction de dialogue) à Tokyo souhaite inciter les couples à converser. Des tables pour deux sont installées dans un intérieur soigné.
Avant de débuter, les invités se rendent près de l'entrée où se trouve une armoire avec des rangées de petits tiroirs en velours vert divisés en trois catégories - clair, moyen et profond. Les clients sont invités à ouvrir un tiroir et à prendre une enveloppe contenant des cartes. Celles-ci proposent des questions des plus futiles jusqu’aux plus introspectives. Une organisation de l’échange qui vise à structurer la conversation, et surtout à la faire démarrer, auprès de gens qui n’ont peut être jamais su ou pu mener ce type d’interactions. Le café suggère aux couples de revenir fréquemment, véritable bulle hors du temps numérique, afin de prolonger l’échange.
Dans la pop culture, les shows comme Single’s Inferno sur Netflix ont le vent en poupe : des histoires de rencontres amoureuses qui passent par de nombreux moments de conversations, d’anecdotes personnelles. Les épisodes sont certes très scriptés et le montage vidéo sans doute très biaisé, néanmoins ces contenus prouvent notre appétence pour des histoires à la fois proches, intimes, et paradoxalement fictionnelles. En France, Warner Bros vient de nommer sa première “directrice de la télé du réel”, ce qui prouve l’engouement et le marché potentiel !
Aux États-Unis, à Great Neck, Ronald Gross a lancé des “Conversation Stations”. Le principe : des signes posés sur des bancs pour inciter les gens à s’assoir s’ils sont ouverts à une conversation amicale. Dans des écoles françaises, les bancs de l’amitié sont de plus en plus fréquents dans les cours, pour inciter les enfants à se parler et à ne pas exclure.
Chez les plus jeunes justement, des chiffres déroutants confirment que les enfants sortent moins de chez eux. Selon l’Institut de Veille Sanitaire, 40% des moins de 10 ans ne jouent jamais dehors en semaine, ce qui interroge sur les futurs rapports sociaux.
Sur France Culture, Géraldine Mosna-Savoye rappelle à quel point la conversation est importante pour nos humanités malmenées :
“Pourtant, je crois, bien au contraire, que la conversation ne prend que quand elle déborde, soit par excès, par effusion, soit par défaut, par un trop plein de silence, de gêne. Au fond, même quand on ne dit pas ce qu’il faut, il s’échange bien quelque chose, ce qui est bien la finalité d’une conversation”. Géraldine Mosna-Savoye
Les sanctuaires de conversation vont forcément exploser dans les mois qui viennent; une façon de remettre du sens et du commun, au même titre que les bibliothèques urbaines.
Le chiffre de la semaine : 28%
Du côté des Français âgés de 18 - 24 ans, une étude Ifop réalisée pour l’entreprise de sex-toys Lelo démontre que plus d’un quart de cette population initiée sexuellement n’a eu aucun rapport sexuel au cours de l’année écoulée.
Les liens épatants
Snapchat a sorti sa campagne “Less social media. More Snapchat”. Un véritable débat chez les professionnels du secteur qui prouve le trouble sur le rôle des plateformes.
Du côté du Guardian, on explore les Moai, notion venue du Japon qui désigne des petits groupes d'amis de longue date (le mot se traduit approximativement par "se rencontrer dans un but commun") et de leur impact sur notre espérance de vie.
Chez NOEMA, Alastair Humphreys nous livre une véritable philosophie de la micro-aventure.
Bonne semaine en vie, et en vivance ! Et n’hésitez pas à partager cette newsletter, à liker, à commenter, ou à continuer à m’envoyer des emails : ces notifications sont une joie.
excellente lecture que je te reco sur les jeux d'enfants (dehors): https://etiennefd.substack.com/p/crashing-into-something-or-someone
je vais ecrire la dessus, ca me revolte (quotidiennement) a quel point le 'dehors' est si peu accueillant pour les jeunes enfants.