C’est une statistique renversante qui nous vient des États-Unis : 15% des hommes, et 10% des femmes, déclarent n’avoir aucun ami proche. Ce qui veut donc dire qu’une forte minorité de gens n’a aucun ami…tout court. En France, d’après l’IFOP, environ 9,5 millions de Français vivent dans la solitude chronique, subie, ou parfois choisie. Pas mal d’explications peuvent entrer en jeu : les nouvelles organisations du travail, la destruction (ou recomposition) des référents « solides » comme la famille, ou les différents lieux de culte. Il n’empêche qu’en faisant reposer l’effort une nouvelle fois sur l’individu, une forme d’anomie peut se renforcer.
Ambiance.
Paradoxalement, le nombre de notifications “sociales” n’a jamais été aussi important. En moyenne, un utilisateur reçoit 46 notifications par jour sur son téléphone, soit 16790 par an. Un chiffre probablement bien en deçà de la réalité en fonction des parcours de vie évidemment.
La causalité n’est certes pas linéaire entre solitude et notifications; néanmoins cet écosystème donne lieu à de nouveaux équilibres, et même de nouveaux rapports de force : certaines notifications reçues ont plus de poids que d’autres, tandis que l’émetteur responsable de ces notifications a un avantage, un privilège sur les autres. Pour ne pas dire une existence plus importante. Nous y reviendrons dans l’essai à venir (quel teaser !).
Ce qui m’a fait penser à une histoire banale au sujet d’un être extraordinaire. Alex est décédé il y a quelques jours, un accident sur la Route du Rhum. La tristesse est arrivée en boomerang d’abord par messageries, puis en découvrant les jolis hommages sur les murs Facebook. Comme si d’une certaine façon c’était une revanche de ceux qui dévorent et donnent à la vie : il y aura désormais toujours quelqu’un pour témoigner et laisser un petit enregistrement de votre histoire, n’en déplaise aux algorithmes.
L’expression du jour : Goblin mode
Le très respectée maison d’édition britannique Oxford University Press a désigné son mot (ou expression) de l’année 2022. Et “Goblin Mode” vient de remporter les suffrages. Le New York Times résume en partie sa signification : “un type de comportement éhontément décadent, fainéant, je-m’en-foutiste ou vorace, généralement en butte aux normes sociales”. Au-delà de l’impact des jeux vidéos et de la façon dont internet donne de nouvelles ramifications au folklore européen, c’est intéressant de voir l’évolution; en 2013, selfie était le mot de l’année, à savoir moi partagé vers les autres, moi comme petite bouteille à la mer qui a de fortes chances d’être vue. Dix ans plus tard, le selfie laisse la place à des utilisateurs hérisson qui ont bien envie de se mettre en boule.
Les liens épatants
À quoi les célébrités parties trop tôt ressembleraient aujourd’hui ? Une intelligence artificielle s’est amusée à créer des portraits. Déroutant.
En 2016, dans l’excellente Paris Review, Wei Tchou anticipait déjà qu’un jour les postures émotionnelles véhiculées sur les réseaux sociaux conduirait à une forme de saturation, et que la fiabilité d’une personne ne se mesurerait bientôt plus à sa capacité à transformer ses émotions en performance scénique. Nous en sommes encore loin, et pourtant les gobelins rôdent !
…à bientôt !
J'aime la comparaison que vous faites entre les néologisme de 2013 et 2023! On voit bien le tracé en effet !