La voix, nouvelle frontière de l'extime sur Instagram
Les voice notes ouvrent une nouvelle façon de parler et d'engager sa communauté. Et de faire vibrer la corde sensible.
Nouvelle édition d’En vivance. Cette semaine, on parle d’une histoire d’intime et de cordes vocales.
Le répondeur, cet enregistreur magique de nos voix, a connu un succès populaire à partir de 1984 aux Etats-Unis. Laurence Bardin expliquait dès 1985 pour Réseaux le rapport fusionnel entre les usagers et le téléphone :
« la fonction la plus évidente du répondeur pour ses possesseurs est de “pallier l’absence”. Le répondeur fait office de super-téléphone en ce sens, une sorte de téléphone total permettant de rester en lien constant avec les autres, un fil qui ne serait jamais coupé, un cordon ombilical toujours branché. “Ne rien perdre” de la communication potentielle, même en cas d’absence »
Laurence Bardin
En 2023, à l’ère où nous sommes joignables partout, tout le temps, et où la déconnexion de l’autre est même devenue de moins en moins tolérable (au risque de faire penser qu’on “ghost” une personne), rares sont les qui gens utilisent vraiment le répondeur. Envoyer un appel vers la messagerie vocale est peut être - aussi - un levier afin de reprendre le contrôle sur qui a accès à notre temps de conversation.
La fonction de “pallier l’absence” est pourtant toujours bien présente. Combien d’entre nous sauvons ou archivons le message vocal d’un être cher parti trop vite ? Mots lancés dans le vide d’un répondeur, parfois futiles, parfois intenses, qui prennent toute leur importance quand une personne décède. En effet, 50 % des personnes qui ont perdu un proche entendent sa voix durant la période de deuil. Ce qui prouve l’importance de cette fonctionnalité pour gérer le chagrin. Si un chagrin se gère, mais ça c’est une autre histoire.
Comme d’habitude, “rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme” pour reprendre une formulation célèbre de la pensée de Lavoisier. Et les notes vocales - ou voice notes - sont en train d’exploser dans les usages. 17% des “Gen Z” envoient des voice notes au moins une fois par jour d’après GWI. Le format de voice note est passionnant à plusieurs égards :
il implique du récepteur ou destinataire une pleine écoute ou attention, déconnectée d’une image. Ce qui crée une forme de bulle, des conditions qui peuvent être émotionnellement très fortes
la communication asynchrone permet une consommation très libre pour le récepteur et tout un jeu social autour des voice notes : réponses ultra rapides, “attaques” (sur le mode des “poke” à la grande époque de Facebook) ou au contraire temps long, gestion de l’attente etc.
l’émetteur peut utiliser toute la puissance de sa voix, offrant de nombreuses opportunités créatives, saisissantes
Comme je l’écrivais dans mon essai, finalement, c’est ce qui se passe dans la tête de l’utilisateur qui compte, et la façon d’absorber le contenu, les signaux, est aussi importante que le signal lui-même :
Un même contenu et un même flux peuvent jouer un rôle, avoir une utilité et un impact fort différents en fonction de l’espace vécu par l’utilisateur.
Les voice notes ont commencé à exploser en 2011 en Chine avec WeChat qui a très tôt senti le potentiel de cette communication. Et Apple a rejoint le game en 2014 avec les voice messages sur iMessage.
Cette nouvelle écriture - vocale - a séduit de nombreux créateurs de contenus ou autres influenceurs depuis le lancement des canaux de diffusion Instagram il y a quelques mois. Léna Mahfouf a par exemple lancé son canal “entre nous 🌻” à travers lequel, en plus d’annonces de nouveaux contenus, elle partage ses états d’âme, ses envies, ses satisfactions. Une vraie impression de recevoir une voice note d’une amie.
Du côté de la chanteuse Angèle, c’est via “gegele news 🎶” qu’elle partage son quotidien, ses réactions, en l’entremêlant de contenus plus exclusifs, captés sur le vif. Sans réellement de régularité mais en jouant à plein la proximité.
Chez Chriselle Lim, les voice notes jouent plutôt le rôle d’introduction ou de présentation en amont d’un contenu plus long, d’un documentaire, qui s’inscrivent bien dans toute la mise en scène relativement récente de son divorce.
Cette connivence semble fonctionner et permet à de nombreuses figures publiques d’aller travailler au plus près les fans les plus engagés, à travers cet espace “extime”. Un bon moyen de faire ressentir un sentiment, un point de vue ultra personnel, intime, à une audience très large. Et pour les abonnés, de vivre au plus profond de leurs êtres ce torrent d’émotions envoyé par l’influenceur pourtant bien à distance de leurs vies.
Le chiffre de la semaine : 1,3 million de spectateurs
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Bonne semaine !
Un mot peut etre sur l'étrange bulle de vie privée créée ainsi dans l'espace public?