Les jeux vidéos : les réseaux sociaux du passé...et du futur
Beaucoup de discussions se concentrent sur Roblox, Fortnite ou Minecraft. Il faudrait sans doute se replonger dans le jeu Pong et les salles d'arcade pour comprendre le poids des jeux vidéos.
Cette semaine pour En Vivance, on se tourne vers les premières salles d’arcade pour mieux informer le présent.
Le marketing a soif de nouveautés ; les dernières annonces d’Apple avec le lancement de son Vision Pro, casque de réalité mixte, “premier ordinateur spatial”, promet de nouveaux univers d’interactions sociales. L’année dernière, Gucci Town lancée sur Roblox a réuni des dizaines de millions de joueurs. La promesse de nouvelles expressions sociales dans des environnements très engageants pour les marques.
Pourtant, derrière le discours technologique, des fondamentaux des réseaux sociaux semblent occultés. Une plongée dans la préhistoire des jeux vidéos - et notamment à travers le cas du jeu Pong - peut mieux éclairer les usages à venir.
Et de nous rappeler que le succès d’un réseau social ne repose pas vraiment sur une prouesse technologique mais sur la capacité des gens à s’emparer d’une plateforme.
Pong : les années 1970 entre prémisses de l’entertainment et des conversations sociales autour
En 1972, Nolan Bushnell (et Allan Alcorn) sortent Pong, un des premiers jeux d’arcade. Commercialisé par Atari, Pong est installé dans un bar californien. Par la force du bouche-à-oreille, le jeu commence à connaître une popularité grandissante. Quelques raisons expliquent ce phénomène, très à propos avec ce qui fonctionne en 2023 dans les réseaux sociaux :
la simplicité de la prise en main du jeu : pas besoin d’être un grand technicien pour rapidement s’amuser, la barrière à l’entrée est faible. Et paradoxalement, la progression possible est énorme, permettant à armes égales de reconnaître le talent d’un joueur
le score affiché en haut de la machine comme véritable statut social : si vous avez déjà joué à un flipper dans un PMU, vous savez à quel point parvenir à entrer son pseudonyme dans les classements est jouissif. À l’époque de Pong, un haut score est source de conversations réelles, d’admiration, de ragots, bref d’échanges sociaux
des légendes et des mythes : rapidement se créent autour de la borne d’arcade des légendes, des mythes, tant sur des grands joueurs qu’autour du jeu lui-même. Même les pannes ajoutent du sel ! Pong devient un sujet de discussion, un élément signifiant d’une certaine jeunesse
Faut-il vraiment une histoire pour générer un récit social ?
Les détracteurs des réseaux sociaux ont parfois tendance à critiquer le manque d’histoire ou la pauvreté narrative de ce qui peut se passer en ligne. Si l’argument ne manque pas de faiblesse - de grandes sagas se forment sur internet - il pointe en revanche une tension intéressante entre intrigue, nouvelles écritures des jeux et trames narratives.
Une balance subtile à trouver : ByteDance, la maison-mère de TikTok, est sur le point de licencier une partie des employés de Nuverse, son département gaming, en dépit de gigantesques moyens et de données sur les attentes et comportements des utilisateurs.
En réfléchissant à Pong, il n’y a pas vraiment d’histoire en soi : ce sont 2 raquettes qui se renvoient une balle, dans un graphisme rudimentaire. Néanmoins, en dépit du manque d’intrigue, le jeu prend car ce sont les joueurs, leurs amis, le brouhaha du bar, le bouche-à-oreille qui donnent toute sa puissance au jeu.
“Sur notre banc chaque jour y'avait des tas d'histoires, depuis qu'ils l'ont enlevé on sait plus où s'asseoir....”
MC Solaar - Samedi Soir - 2001
Pong est un artefact social marquant : à la fois point et sujet de rencontre, outil et souvenir, il explique beaucoup pourquoi nous nous attachons tant à un forum de discussion, à un groupe privé ou à un “influenceur”. Comme le banc de MC Solaar, en somme.
L’expression du jour : delulu
C’est sans doute une des expressions marquantes de 2023 : delulu, qui est donc la contraction du mot anglais delusional (en français : délirant). À l’origine, le terme delulu est apparu dans les communautés de fans de K-pop, pour décrire une relation parasociale qu’entretient un fan avec une idole.
Le hashtag #delulu regroupe 4.8 milliards (!) de vues cumulées sur TikTok. Mélange d’auto-dérision, d’entre-soi, de meme, mais également d’un certain sens de l’humour, c’est aussi le signe de l’audace et de l’auto-dérision. Dans un monde violent, le delulu est peut être une soupape de décompression nécessaire.
Les liens épatants
Comment les plateformes sont devenues si ennuyantes ? Une analyse de septembre 2022 chez The Verge
Une histoire de Pong et son impact dans l’histoire récente par The Guardian
Les jeux vidéos, réseaux sociaux du futur ? C’est une certitude pour certains groupes de luxe. À lire chez Jing Daily
Se bercer d’illullu n’est pas toujours la solulu par
pour Numérama