Les communautés de looksmaxxers : une autre dérive des réseaux sociaux ?
Les jeunes garçons tomberaient dans le mythe de Narcisse, influencés par des communautés proches des masculinistes.
Seconde édition d’En Vivance 2024 ! Bienvenue aux nouveaux abonnés. Il neige sur Paris au moment où j’écris ces lignes et pourtant les corps semblent perpétuellement dénudés dans les réseaux sociaux.
Le hashtag #looksmaxxing regroupe déjà 5.2 milliards de vues sur TikTok en janvier 2024. Ces vidéos ont pour objectif d’apporter de nombreuses astuces pour avoir une meilleure apparence physique. L’étymologie vient des jeux de rôle, où “max” un personnage signifie lui faire acquérir une compétence (force, défense, intelligence…) au maximum de son potentiel.
La logique derrière ? Les relations amoureuses seraient pour certaines communautés une histoire de subterfuge et de persuasion. Avec des astuces et une certaine dose de “hacks”, les jeunes hommes - car ce sont surtout des hommes qui créent ces vidéos - parviendraient à leurs fins (comprendre : choper). Tout. Va. Bien.
Comme l’explique Exploding Topics :
“Cela fait référence à la pratique répandue dans certaines sous-cultures masculines, en particulier incel, d'améliorer son apparence physique par divers moyens. Ces méthodes peuvent aller de simples changements comme l'amélioration du style personnel ou de la condition physique, à des mesures extrêmes comme l'utilisation de stéroïdes ou la chirurgie plastique, dans le but de gagner des avantages sociaux ou romantiques.”
Cette tendance n’a rien d’anecdotique : l’intérêt des jeunes hommes explose depuis 12 mois, à une vitesse vertigineuse aux États-Unis. Alors que le sentiment de solitude s’accroit en particulier chez les garçons, trouver des solutions clés en main pour être beaux / riches / successful a le vent en poupe. En dépit d’un manque criant de preuves scientifiques sur une partie conséquente des conseils distillés, des audiences de plus en plus larges semblent y croire et se mettent à relayer ces vidéos. C’est toute une économie qui se crée : coachs aux atours de gourous, tutoriels, packs (payants) de conseils à télécharger. Bienvenue dans un monde de relations transactionnelles.
Entres autres contenus viraux en ce moment, le “mewing challenge” (littéralement le challenge du miaulement), qui consiste d’après le site de la marque Typology “à fermer la bouche et placer les dents de la mâchoire supérieure et inférieure l’une sur l’autre. En même temps, la langue doit être gardée contre le palais” avec comme finalité de remodeler la mâchoire et d’éviter le double menton…Si la marque reconnait à la fin de son article qu’ “il faut préciser qu'à ce jour, tout cela n'est que constatation et aucune étude scientifique n'atteste d'une atténuation des rides et/ou d'un double menton avec cette technique”, le mal est d’une certaine façon fait : elle reprend une tendance contestable, offre à ses promoteurs une mini tribune, et d’une certaine façon les adoube surtout vu le sérieux de Typology.
L’esprit critique à la rescousse ?
Dans un univers connexe, celui des contenus de “fitspiration” (comprendre : des posts qui font la promotion d’une activité sportive afin d’améliorer sa santé), le glissement a largement eu lieu.
Une étude relayée par Robert H. Shmerling, MD, Senior Faculty Editor de Harvard Health Publishing remet en cause la sincérité de ce type de créateurs de contenus. En se basant sur les contenus publiés récemment par 100 des comptes de fitpsiration les plus populaires, les scientifiques constatent que 26% mettaient en avant des images très sexualisées, 22% jouent avec la nudité (et utilisent des vêtements clairement pas adaptés pour faire de l’exercice…), 15% mettent en avant des morphologies extrêmes, et 41% d’entre eux ont publié moins de 3 contenus liés au fitness sur leurs 15 derniers posts.
La conclusion de l’auteur : nous devrions tous développer un esprit critique, surtout quand ces contenus font également la promotion de produits ou de services. Ce qui ne veut pas dire que tout est à jeter mais que le travail de filtrage est immense pour éviter de se mettre soi-même en danger.
Des mécaniques de vivance bien connues et dangereuses
La vivance - la qualité ou l’état d’être en vie, le cœur de mon essai sur les réseaux sociaux - a très tôt été maîtrisée par des manipulateurs (sectes, groupes extrêmistes, promoteurs de comportements à risque etc.). En 2017, j’avais analysé avec mon équipe les moyens de “recrutement” de la communauté pro-ana (“pro anorexie”). À l’ère pré-TikTok, les membres détectaient certains comportements d’utilisateurs lambda (souvent de très jeunes filles) autour de hashtags comme #perfectbody #skinny ou #diet, afin de les encourager dans leurs efforts à perdre du poids. À force de répétition des messages, des commentaires, une relation s’établissait, conduisant la cible à être invitée à rejoindre des groupes plus privés, dans lesquels une véritable course à la maigreur s’organisait. D’un signal a priori anodin, la victime se faisait amener dans une logique de socialisation, qui progressivement prend vie - ou vivance - à travers les réseaux sociaux. Logique qui valide donc les dérives et remplace progressivement d’autres solidarités, propose un nouveau cadre de références, ou remplit même un vide.
Sept ans plus tard, cette logique s’est sophistiquée : ce sont les plateformes qui font une partie du job des activistes de ces communautés. La nuance entre contenus déviants et sincères est assez difficile à évaluer, notamment pour les plus jeunes. C’est bien parce que la frontière est ténue qu’elle a une telle force; on peut bien tomber amoureux d’une fiction après tout.
Le chiffre de la semaine : 1.3 million d’abonnés
C’est le nombre de followers de Dillon Latham, un jeune TikToker qui est fréquemment associé aux communautés de Lookmaxxers. Une référence pour comprendre ce qui se trame…
Les liens épatants
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