Identités .zip : miniaturisation vs compression de nos identités en ligne
Les bios dans les réseaux sociaux, qui semblent miniaturiser nos identités, deviennent le théâtre d'un grand détournement.
Mardi soir sur la Terre. Vous pouvez lire ce post en anglais. Et en pleine finalisation de mon second livre… Stay tuned ! N’hésitez pas à partager cette lettre et à la recommander.
Longtemps perçues comme une formalité, les biographies en ligne se sont imposées comme une norme esthétique et fonctionnelle. 150 signes pour dire qui l’on est.
Une injonction à la concision… mais surtout à la clarté, la cohérence, la désirabilité.
Ce qui devrait être un espace de présentation devient un test de branding. Une micro-vitrine de soi, optimisée pour l’attention. Au mieux, un haïku identitaire. Au pire, un tombeau. Comme s’il était normal de se résumer en aussi peu de mots.
Contre la miniaturisation : la stratégie de la compression
Nous sommes incités à raconter nos vies comme si elles étaient des trailers. Chaque élément de notre profil – photo, nom, @, bio – devient une balise dans une narration algorithmique. Et pourtant, c’est justement là que les détournements les plus subtils émergent.
Mais plus cette logique se raffine, plus des stratégies de brouillage apparaissent. Paradoxalement, alors que cette injonction est de plus en plus pressante, c’est du côté des créateurs de contenus ou des personnalités publiques que le détournement de la bio dans les réseaux sociaux a lieu.
Chez les mannequins, musiciens, créateurs de contenu, la bio est souvent vidée de toute identité personnelle :
“Agency: contact@xyz.com”
“For inquiries: agentlink.co/me”
Ce dépouillement n’est pas une absence. C’est un geste. Une externalisation de l’identité. Le vrai récit se joue ailleurs : dans l’image, la collaboration, la présence diffusée. Le vrai bouche-à-oreille, en somme.
D’autres figures choisissent le flou, l’invitation à deviner. Hantoring, par exemple, ne dit presque rien. La bio devient un leurre, une énigme. Pas une “boutique de souvenirs”, mais un sas d’entrée. Ceux qui savent, savent. C’est une logique d’appartenance implicite. Une forme de narration partielle, comme l’imaginait Umberto Eco dans L'Œuvre ouverte : ce n’est pas au profil de tout dire, mais à nous de compléter.
Enfin des utilisateurs comme Amelia Gray ou Hunter Schafer ont tout simplement tout enlevé : aucune bio, et même dans le cas d’Amelia Gray un détournement de l’image de profil par défaut. Un geste radical, proche du minimalisme post-attentionnel, où la rareté crée une tension magnétique. Une stratégie proche du ghost posting, ou du “blank post” : dire beaucoup par presque rien.
Identité .zip : compresser pour mieux irradier
Ce que l’on observe ici n’est pas une régression identitaire, mais un déplacement stratégique. Contre la miniaturisation (réduire pour faire tenir), certains préfèrent la compression (réduire pour contenir plus).
La bio devient un fichier compressé, un conteneur discret, dont le contenu se découvre dans les interactions, les archives, les stories à la une, les commentaires. Et qui nécessite donc une ouverture, un effort de découverte par les audiences.
Les liens ajoutés via des services comme linktree sont autant de sous-dossiers vers d’autres pans de nous.
C’est aussi une manière de reprendre la main sur sa propre narration, dans un environnement qui exige tout, tout de suite.
On ne se donne plus à voir , on se donne à chercher.
Le chiffre de la semaine : +1M
Le PSG a gagné plus d’1 million d’abonnés en 24h suite à sa victoire sur l’Inter de Milan d’après Socialblade.
Les liens épatants
Une interview sur pourquoi je pense qu’Internet peut encore être beautiful (Nikita Walia)
The improbable rise of chessboxing (The Economist)
The Nostalgia Machine (Burn After Reading)
Le 6ème état des lieux du sexisme en France : s’attaquer aux racines du sexisme (HCE)
Bonne semaine ! Mon essai “Réseaux sociaux : une communauté de vie” est toujours disponible chez vos libraires. La version anglaise “Alive In Social Media” est disponible sur Amazon.
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