Blank posting : pourquoi les contenus vides captent notre attention
Blank posts, silent vlogs, bruit blanc, commentaires invisibles : le vide explose dans les médias sociaux
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Alors que le Ghost posting, cette technique de publications à destination de personne, est en plein essor, on constate également l’explosion des contenus vides, des posts sans image, des vidéos où il ne se passe presque rien. Une tendance qu’on peut appeler le “blank posting” : ces contenus qui ne disent rien attirent paradoxalement toute notre attention.
Jouer avec le vide pour créer de l’attention
Sur Instagram, des artistes comme Jaden Smith ont eu leur phase blank post. Le principe : s’autoriser des mois entier sans poster, ou alors poster des lignes entières de contenus blancs, invisibles, volontairement abscons. Un jeu d’attente et de frustration qui crée une tension chez leurs abonnés. Kanye West utilise aussi cette tactique, en supprimant régulièrement tous ses posts pour ne laisser qu’un écran noir ou une image unique.
Dans cette logique, le feed Instagram cesse d’être un flux linéaire accessible à tous, il devient une énigme, un puzzle à reconstituer en temps réel. Ce qui disparaît prend plus de valeur que ce qui est visible. C’est une stratégie de rareté appliquée au numérique : au lieu de nourrir en permanence la bête algorithmique, on la laisse affamée, créant ainsi un besoin.
Du vide en streaming
Le vide peut aussi être orchestré en vidéo. Les silent vlogs, ces vidéos sans voix, décollent notamment sur YouTube. Le principe : documenter la vie quotidienne de façon lente, ne jamais parler à la caméra, injecter des silences, des bruits blancs ASMR. Ces contenus reposent sur une absence volontaire de structure narrative : il ne s’agit plus de conduire le spectateur d’un point A à un point B, mais de lui offrir un espace flottant, un temps suspendu.
Des instants de contemplation, en somme.
L’impact du presque rien
L’absence de bruit ou d’action devient reposante dans un environnement numérique saturé. Alors que beaucoup d’utilisateurs racontent une histoire en ligne que ce soit pour se mettre en avant, raconter des histoires de transformation, et que ces contenus sont souvent sous perfusion de “hooks”, prendre le contrepied et instiller du temps long peut avoir un impact.
Ici, l’accroche est paradoxale : elle consiste à ne rien dire et à laisser le vide s’installer.
L’absence de récit devient un luxe, et le vide présenté peut aussi par un effet miroir donner aux abonnés une respiration afin de se projeter eux-mêmes sur leurs propres émotions ou significations.
L’esthétique de l’invisible et de l’absence est un levier marketing également puissant. Bottega Veneta avait décidé de quitter Instagram dès 2021, au profit d’une magazine trimestriel. Depuis, la marque est toujours puissante. D’après le Lyst Index, elle se classe 6ème au dernier trimestre 2024, loin devant Jacquemus ou même Balenciaga, prouvant que le bouche-à-oreille ne nécessite pas toujours d’être la personne la plus audible mais la plus silencieuse en apparence. Choisir le silence devient un acte subversif.
Le blank posting fait aussi écho à différents nouveaux usages sur TikTok notamment : des créateurs qui se prennent en vidéo sans jamais montrer leurs visages, ou en déployant des comptes sans aucune bio. Une forme d’anti-personnalité, de secret, qui crée un vide donc de l’intrigue quand les influenceurs s’effacent.
Nous assistons à une inversion des codes : là où les influenceurs traditionnels construisaient leur audience sur la surexposition, une nouvelle génération préfère cultiver le mystère et l’absence. L’influence ne passe plus par l’hypervisibilité, mais par une gestion fine de l’ombre et de la lumière. On constate par exemple la multiplication d’outils en ligne pour commenter de façon invisible (police de couleur blanche sur fond blanc) sur Instagram ou YouTube (ne révélant ainsi la correspondance que quand les smartphones passent en mode nuit).
C’est ce qui ne se dit pas qui devient le plus puissant. Surtout si les influenceurs savent disparaître au bon moment.
Le chiffre de la semaine : 202.2K posts
Sur TikTok, 202.2K vidéos taguées “Faceless” sont déjà publiées et ont généré des millions de vues. Une tendance de fond qui prouve que montrer l’identité et le visage réels des créateurs n’est pas forcément toujours désiré par les publics. Une interrogation cependant de fond : à l’ère des vidéos créées par l’intelligence artificielle, l’humain deviendra-t-il une forme de prétexte ou de sous-genre dans nos consommations de contenus dans les réseaux sociaux ?
Les liens épatants
The young people pushing for a landline renaissance (The Guardian)
How scam operations exploit those trapped inside (The Conversation)
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