La vie rêvée des archives : du phénomène "lostwave" aux rosebuds
Les communautés en ligne se plongent dans les archives les plus mystérieuses : quand l'oublié devient sacré, les réseaux retrouvent un certain panache.
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Les archives numériques sont un des grands enjeux collectifs à venir. La culture du remix permet à la fois une réinterprétation de productions culturelles accessibles vers un nouvel ensemble; mais pose également la question de l’historicité, de l’authenticité des contenus produits. Une problématique qui va s’aggraver avec les développements de l’intelligence artificielle.
Au milieu des milliards de contenus disponibles plus ou moins légalement est apparue une étrangeté : les communautés en ligne qui cherchent désespérément des “lostwaves” - ou ondes perdues. En clair : une musique dont on a perdu l’origine, l’auteur, ou le contexte de sa mise en ligne.
D’une radio allemande à Reddit
En 1984, un adolescent basé en République fédérale d'Allemagne enregistra une chanson inconnue diffusée par la radio Norddeutscher Rundfunk. D’après le subreddit dédié à “The Mysterious Song”, différentes actions construisent progressivement le mythe autour de la chanson. D’abord la numérisation de la cassette audio, puis la publication sur diverses plateformes dans les années 2000 du fichier. L’histoire commence à atteindre différentes audiences, depuis les forums sur Usenet jusqu’à des sous-cultures passionnées de musique.
En 2019, un Brésilien (Gabriel Da Silva Vieira), publie sur YouTube une partie du fichier avec un nom accrocheur : THE MOST MYSTERIOUS SONG ON THE INTERNET.
La traque commence à exploser en ligne ; des journalistes publient des articles, les internautes analysent en profondeur la chanson, développent des hypothèses, plongent dans les détails les plus précis : le type de clavier, les fréquences, l’accent du chanteur, deviennent des bases de travail, d’investigation.
Le besoin de mythe : plus belle sera la quête
Ce que nous raconte cette histoire est le besoin phénoménal que nous avons pour certaines aspérités, certaines disruptions dans nos expériences connectées. Une part d’incongru, d’anormal ; la possibilité d’avoir un rôle à jouer dans cette traque ; le désir d’en tirer un joli dénouement sans doute.
Elle explique aussi la puissance des détails laissés de côté à un moment donné qui peuvent devenir riches de sens des décennies plus tard.
Les marques de mode sont souvent à l’avant-garde des passions à venir. On savait la nostalgie d’une époque - pourtant non vécue - importante pour les plus jeunes. Pas étonnant que Chanel dévoile depuis quelques jours un film en noir et blanc avec Brad Pitt et Pénélope Cruz qui jouent avec les codes du film Un Homme et une Femme de Claude Lelouch, sorti en…1966.
Lors de la Fashion Week parisienne encore, ce n’est pas tant les collections qui ont enflammé les réseaux sociaux que les signaux, les disruptions qui ont pu s’y dérouler. La marque The Row (fondée par les soeurs Olsen) a incité ses invités à ne prendre aucune image du défilé et a ainsi envoyé un petit missile de plus contre notre trop plein de temps passé en ligne (mais pas trop quand même, il faut bien vendre du tissu !). Chez Marine Serre, une fake Kate Moss (dont le vrai nom est Denise Ohnona) a fait le buzz en tapant dans les débats actuels sur les deepfakes ou autres dupes.
Plutôt que de simplement réagir à une époque, Jun Takahashi, le créateur de la maison Undercover, a décidé d’inviter Wim Wenders à lire un poème écrit par lui : Watching A working Woman. Un fil rouge monotone pendant le show qui laisse la part belle à la beauté du quotidien d’une mère célibataire. Impossible de trouver en ligne la transcription de ce poème dont tout le monde a parlé (je l’ai donc fait…). Ce qui a déclenché de nombreuses discussions sur Threads ou les messageries privées, prouvant encore la force d’une pépite, d’une production rare.
Un véritable rosebud, cher à Pierre Assouline, “ce petit rien qui nous trahit en nous dévoilant aux autres (…) Qu'importe si c'est juste un détail, pourvu que ce soit un détail juste.”
En filigrane, que ce soit les lostwaves ou le poème de Wim Wenders, on ressent l’envie de retrouver du sens à travers des petits morceaux de vie. De quoi réfléchir aux contenus que nous publions en ligne : ils sont les prochains témoignages, les prochains trésors, que les futurs curateurs ou archéologues numériques trouveront. Ce qui est rare a toujours une valeur plus grande.
La plateforme de la semaine : Lost Media Wiki
Lost Media Wiki est une plateforme lancée en 2012 qui recense des médias (audios / vidéos / animations etc.) perdus ou difficiles à retrouver.
Les liens épatants
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La mémoire parfois ne se retrouve pas; les souvenirs inscrits sur une vieille cassette que Shazam n'arrive pas à déchiffrer. le souvenir de jingles de radios oubliées. Une version live dont la version studio n'arrive pas à rendre la saveur (tiens, le mot "live"...)