On a tous besoin d'un Rosebud dans nos vies connectées
Citizen Kane aurait pu être influenceur ou comment un je ne sais quoi en dit long sur qui nous voulons être
Merci pour vos retours sur ma précédente newsletter “j’ai pas les mots”, notamment les dizaines d’emails reçus ! Et merci aux nouveaux abonnés, que j’invite à découvrir le “guide thématique” et bien sûr mon essai sur les réseaux sociaux !
Toute l’intrigue du film Citizen Kane repose sur un mystérieux mot prononcé par Charles Foster Kane lors de son dernier souffle : “Rosebud” (Bouton de rose en français). Un fil rouge porté par le personnage de Jerry Thompson, un reporter qui se met à enquêter pour comprendre à quoi fait référence ce mystérieux bouton de rose…en vain, jusqu’à ce que la caméra d’Orson Welles révèle à la fin du film qu’il s’agit du nom de la luge sur laquelle Kane jouait enfant, son dernier souvenir heureux. Une démonstration qu’en dépit des on-dit, des rumeurs, de la multitude de témoignages, déterminer la nature profonde d’un être n’est pas si évidente. Orson Welles n’a d’autre subterfuge que de nous proposer d’utiliser une caméra omnisciente, la seule qui impose une certaine justesse, et pas les humains mis en scène.
Rosebuds dans les réseaux sociaux : un petit rien qui en dit long
Mais alors quel est le lien avec les réseaux sociaux et la notion de vivance, à savoir la qualité ou l’état d’être en vie ? Le besoin de rosebuds numériques explose à travers l’avatarisation de nos existences connectées.
Pierre Assouline, journaliste et écrivain, auteur de Rosebud (éclats de biographies), donne une définition très contemporaine des boutons de rose :
“Ce petit rien qui nous trahit en nous dévoilant aux autres. le rosebud peut être un vêtement, un objet, un geste. Un paysage de neige dans une boule de cristal. Une oeuvre d'art éventuellement. Ou une madeleine. Ce peut être une trace ou une empreinte. Parfois même une simple page d'un livre. Ou un mot. Qu'importe si c'est juste un détail, pourvu que ce soit un détail juste.”
Pierre Assouline
Ce petit rien se retrouve dans l’Histoire : l’écharpe rouge de Jean Monnet est un cas d’école. Adapté à l’ère de nos vies connectées, de nouvelles expressions des rosebuds voient le jour.
Les rosebuds : faciliter le contrat de lecture avec les publics
Sophie Fontanel, journaliste et Instagrammeuse de génie, a développé son propre rosebud en nourrissant sa marque de fabrique “Sophie Fontanel. Écrit. Writes”. Le principe : des descriptions de ses photos en français, et des traductions - très - approximatives en anglais qui ajoutent une touche d’humour des plus pertinentes.
Certains rosebuds sont plus implicites pour les utilisateurs, qui tentent d’être mieux représentés au-milieu des milliers autres avatars ou indices de vivance, comme l’artiste Pietro Terzini qui utilise un bleu particulier, qu’on retrouve tant sur son compte Instagram que dans diverses collaborations mode. À force de répétition, ce code couleur fait partie inhérente de la façon dont on se représente la personne. Le meilleur signe de l’importance des rosebuds : quand on change sa photo de profil, de nombreuses personnes l’annoncent en Story et en font un événement. OMG.
Les rosebuds ne sont donc pas que visuels; ils peuvent être dans la façon dont on écrit, dont on ajoute des hashtags, dans la myriade de petits éléments que les réseaux sociaux nous mettent à disposition. Pas tout à fait éléments figés, les rosebuds sont comme des petits jingles de radio : ils créent une attente, envoient un signal, créent de la présence en ligne auprès de nos petites ou grandes communautés.
Chez “We’re not really strangers”, le projet de Koreen Odiney qui vise à briser la glace et plus généralement à favoriser une meilleure communication à travers ses jeux de carte, on retrouve une version subtile du rosebud. Elle transforme des emailings qui ont parfois mauvaise réputation - trop commerciaux, trop de spams, trop de vide - en petite attention à destination de son public.
C’est quoi alors votre rosebud à vous ?
Le chiffre de la semaine : 8 ans et demi
D’après la CNIL, la première inscription à un réseau social semble intervenir actuellement en moyenne vers 8 ans et demi. Et de mentionner que les parents sous-évaluent en général l’utilisation d’internet de leurs petits.
Les liens épatants
Çà ressemblait à quoi Facebook en 2004 ?
La créativité à l’ère du digital, vaste débat sur Linkedin
L’UNESCO vient de sortir un document issu d’une longue consultation intitulé “Préserver la liberté d’expression et l’accès à l’information : principes pour une approche multipartite dans le contexte de la régulation des plateformes numériques”. Long et précis, mais qui vaut le détour pour comprendre les enjeux actuels
…à bientôt !