Sur Discord, autant s'accorder
Les récentes annonces de la plateforme Discord invitent à réconcilier vie publique et modèle business. Une fois de plus, tout est politique. Décryptage des "Platform Policy Fellows".
La chose publique n’a jamais été autant au coeur des développements des plateformes. La prise de conscience - peut-être - que pour tenir la distance, mieux vaut s’inspirer de ce qui fait société.
“L’enfer, c’est les autres !” Si on connait bien la citation de Jean-Paul Sartre dans Huis clos, elle n’a jamais été aussi à propos s’agissant de la compréhension des plateformes.
Les plateformes ont comme moteur les millions d’autres qu’elles essaient d’acquérir, séduire, contenter et surtout faire revenir. Il faut bien garder ça à l’esprit pour identifier pourquoi Discord souhaite explorer les sciences politique. Discord recrute un peu partout des Platform Policy Fellows, dont la mission de 18 semaines sera d’évaluer puis de réviser les règles de Discord.
Discord, en très simplifié pour celles et ceux qui n’y ont jamais mis les pieds, c’est 150 millions d’utilisateurs dans le monde. Historiquement des gens qui gravitaient dans les sphères reliées aux jeux vidéos, mais qui désormais regroupent des milliers de centres d’intérêt. Gucci est sur Discord, Lacoste est sur Discord, Midjourney utilise Discord, de nombreux auteurs ont des serveurs Discord privés. Son fonctionnement est simple, d’après Wikipedia :
Discord est basé sur un principe de serveurs. Chaque utilisateur peut fonder un ou plusieurs serveurs gratuitement et en devient dès lors l'administrateur. Selon les permissions du serveur, les utilisateurs peuvent rejoindre ou non les serveurs d'autres utilisateurs, grâce à des invitations. Sur leurs serveurs, les administrateurs peuvent créer des salons vocaux ou textuels et définir des permissions pour chaque utilisateur. Les permissions sont gérées sous forme de rôles.
En d’autres termes, une sorte de gigantesque salle de chat sous stéroïdes, qui a su prendre de vitesse certains acteurs historiques des réseaux sociaux.
Dans le jargon marketing, les premières phases d’une startup sont généralement le terrain de jeu des autoproclamés growth hackers, ou en français - littéralement - les pirates de la croissance (tout un poème). Le principe (en très simplifié) : mettre en oeuvre des techniques afin de faire gonfler le plus rapidement possible des bases de données, faire en sorte qu’un utilisateur génère une action (par exemple donner son email, créer un profil etc.), et que partant une partie des gens ainsi “acquis” génèrent du revenu. Mais ça, c’était avant.
En réalité, sur un réseau social, le revenu est une notion très complexe. Les anciens modèles à la Facebook monétisaient leurs immenses bases de données notamment pour vendre de la publicité. Sauf qu’un utilisateur ne peut pas être exposé infiniment à des panneaux publicitaires, et qu’il a une capacité à agir pour refuser (tiens tiens, encore du politique). Sur Discord, le modèle est tout autre ; ce qui génère du revenu, c’est par exemple des comptes “Nitro” qui permettent aux utilisateurs d’envoyer des fichiers plus lourds, de personnaliser en profondeur leurs avatars. Discord gagne de l’argent en prenant une commission de 10% sur la vente de certains jeux. Sans parler de partenariats avec des grandes marques ou d’autres plateformes. Et idée assez maligne : la plateforme offre des niveaux de services différents aux serveurs, ce qui permet d’augmenter les capacités de ceux-ci (en bande passante) moyennant finance.
C’est très clair : Discord mise sur la qualité du réseau, ce qui passe à la fois par de la tuyauterie (la vitesse des serveurs entre autres critères), par l’expérience communautaire proposée et par l’expression de soi.
C’est parce qu’il faut une qualité communautaire exceptionnelle que Discord investit massivement dans les sciences politiques. Comme évoqué dans mon essai, quand un utilisateur souhaite rejoindre un serveur, il doit en principe adhérer à une charte avec des droits et des devoirs. Il y a un travail de modération mené à la fois par l’organisation et des super-utilisateurs, de façon hyperactive. Les groupes ont généralement aussi une feuille de route à peu près claire sur l’objet du serveur Discord. Ces serveurs jouent la carte de la vivance à plein : d’abord parce que structurellement, une des colonnes toujours à l’écran montre les utilisateurs actifs, donnant cette impression de vie, et parce qu’elles reposent sur la capacité à générer de la conversation pertinente, à toujours inciter les contributeurs à s’exprimer. Les serveurs deviennent le comptoir des temps modernes, par lesquels se lient des amitiés, des actions coordonnées, des projets communs. Ce ne sont pas que des lieux de consommation passive mais au contraire des espaces qui incitent à des choix conscients tout en s’inscrivant dans la routine sociale des gens. Et Discord a compris un élément important : il vaut mieux créer de l’adhésion et du consentement explicitement exprimés par les utilisateurs que de cacher des clauses dans des conditions générales d’utilisation obscures. D’abord pour créer de la confiance du côté des gens (et donc du cash); mais également pour se protéger du durcissement des positions des organisations intergouvernementales. Lire à ce sujet le passionnant résumé sur le site de la Commission Européenne de sa stratégie.
Le mot de la semaine : sociolecte
Une langue, ou un ensemble de mots ou expressions communs à un groupe social particulier. Si la notion est plus répandue aux États-Unis, elle commence à faire sens à mesure que certaines communautés développent des terminologies reliées à leur essence (comme le Polari), ou que la pop culture influence l’envie de créer une nouvelle sémantique autour d’un personnage de fiction.
Les liens épatants
Du côté de Noema, un essai fascinant de Sara Walker intitulé “AI is life”. Sa démonstration : la technologie ne vise pas à remplacer artificiellement la vie, elle est…la vie
Amazon continue à déployer sa technologie de paiement (et pas que) Amazon One. En scannant la paume de votre main, vous pourrez vous payer une pinte. Un interfaçage de plus humain / numérique
Caryn Marjorie, suivie par plus de 2 millions de personnes sur Snapchat, a lancé CarynAI, un chatbot d’intelligence artificielle avec l’entreprise Forever Voices. Le principe : pouvoir dialoguer (comprendre : flirter) avec Caryn via son bot en échange d’un abonnement. De quoi prouver que les relations parasociales sont un des grands enjeux de nos identités connectées
…à bientôt ! N’oubliez pas de partager, commenter, “liker” !