Reviens-moi
Les trois petits points des messageries instantanées inspirés par Jerry Cuomo et Richard Redpath ont profondément impacté nos rapports sociaux. (Re)découverte de leur impact.
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À la fin des années 1990, Jerry Cuomo et Richard Redpath (IBM) créent un outil qui marquera profondément nos vies numériques : le premier “Typing Awareness Indicator” ou le fait que désormais dans un chat, lorsqu’un utilisateur tape quelque chose, les autres membres sont au courant de l’action qu’il est en train de mener.
Cet outil permettait à la base d’éviter que des collègues hurlent dans l’open space “as-tu bien lu mon email ?”. Sauf que rapidement, cet indicateur s’est transformé en indice de vivance, notamment à travers les messageries instantanées. C’est à dire la capacité de démontrer la présence (ou l’absence) de vie dans un environnement numérique.
La vivance - la qualité ou l’état d’être en vie - trouvait ainsi sa première expression tangible. Désormais, ces trois petits points font partie de nos usages quotidiens. Ils portent à la fois une intention (l’interlocuteur est en train de taper un message…) mais également un geste (il est bel et bien en train de “faire” quelque chose physiquement avec ses mains). Un peu comme si les emails fusionnaient avec le téléphone et donnaient naissance à un nouvel espace
Les fondations de la vivance dès la fin des années 90
Cet objet étrange geste-intention a muté depuis plus de 30 ans. À tel point qu’on oublie ses origines. En France, c’est sans doute MSN Messenger qui a eu le plus d’impact sur nos clavardages avec les salons de chat comme Caramail. Dès 1999, c’est toute une nouvelle architecture conversationnelle ainsi que de nouveaux modes d’interactions qui voient le jour pour le grand public.
Ma France à moi elle parle en SMS, travaille par MSN
Se réconcilie en mail et se rencontre en MMS
Diam’s - Ma France à moi - 2006
Les “wizz” permettent de secouer l’écran d’ordinateur de l’interlocuteur, ainsi que d’imposer un son proche de l’alarme. Les statuts des personnes connectées (et celles hors ligne !) précisent qui est actif, qui disparaît trop longtemps, conduisant à une nouvelle perception de l’absence et de la présence.
La combinaison d’émojis, d’indices visuels, s’accompagnent d’un nouveau rythme d’écriture. Mais également d’une possibilité de s’exprimer plus étendue, de se découvrir. Des stratégies complexes, joyeuses et chaotiques qui montrent que la friction donne toute sa saveur à nos échanges numériques. Comme débuter un message pour qu’une bulle s’affiche du côté du destinataire, ou qu’au contraire on remette sur “non lu” un message sur Instagram.
Une époque où l’on découvre qu’on peut tomber amoureux derrière un écran, mais également qu’il est très rapide de s’embrouiller.
Instagram et TikTok en plein retour vers le futur
Chez Meta, les dernières annonces ont des airs de Y2K. Sur Instagram, les utilisateurs peuvent désormais répondre aux “notes” avec des clips audio, des photos, des vidéos, des GIFs et des autocollants. Les “statuts inspirants” à base de citations d’artistes font leur grand retour, pour le meilleur et pour le pire !
Bref.
Après une vague très “média” dans les réseaux sociaux qui a finalement assez vite démontré ses limites quand le contenu n’est pas intéressant, vint la vague “entertainment” et un nombre conséquent d’initiatives visant à faire des contenus proches de show Netflix. La vérité est qu’il manque un pilier important - le plus important en fait - qui explique la raison pour laquelle un utilisateur (humain, virtuel, marque…) explose sur les réseaux sociaux : une capacité à être plus en vie que les autres, à savoir regrouper spontanément des audiences qui se sentent investies par ce que cet utilisateur a à raconter. En d’autres termes, les utilisateurs qui connaissent un succès certain ne sont pas ceux nécessairement désespérés à chercher de l’attention mais plutôt concentrés à établir une forme de respect, ce qui passe par l’envers du décor des réseaux sociaux. Les milliers de conversation avec des vrais gens, les projets qui voient le jour (ou échouent) “In Real Life”. Le bruit et la fureur
Un capital qui a une valeur infinie comme le rappelle Karen X. Cheng, qu’elle oppose à une course effrénée après les algorithmes :
“Les algorithmes récompensent l'extrême, et nous avons été poussés à l'extrême”
Karen X. Cheng
Meta semble avoir entendu l’appel des utilisateurs et des créateurs de contenus à travers des décisions assez symboliques. L’onglet “shop” de la barre de navigation Instagram a été supprimé en 2023, les programmes à destination des créateurs se multiplient à travers le monde. Pas étonnant d’ailleurs qu’Instagram, dans son concours “The Creators of Tomorrow”, ait ajouté comme catégorie “IG Besties”. La définition : “ceux qui nous font sourire et qui brillent tout en nous motivant, tout comme le font nos meilleurs amis dans la vraie vie. Ces créateurs apportent la joie. Ils vous font sentir enveloppé dans un grand câlin et vous rappellent que grâce à eux, vous faites partie d'une communauté et d'un espace sûr”. Instagram jouerait les doudous ? Pas sûr, mais en tout état de cause la plateforme se concentre sur les espaces de connivence…et d’amour.
Surtout, Meta accepte dans son discours de ne plus être le réseau unique vers lequel un utilisateur captif (sic) vivrait l’ensemble de son expérience sur internet, mais bien un lieu de passage, une ancre, et parfois l’endroit préféré pour parler à un certain type de gens.
Le chiffre de la semaine : 1,6 million de personnes suivent r/CombatFootage
Sur Reddit, 1.6M de personnes suivent la section r/CombatFootage, qui regroupe des images et vidéos insoutenables de guerre issues de bodycam, et autres smartphones. Lire à ce propos l’excellent article de L’ADN.
Les liens épatants
Les créateurs craignent que TikTok ne devienne une terre désolée remplie de publicités chez Business Insider
La plateforme TikTok serait-elle partisane dans la guerre Israël-Hamas ? Le point de vue de la plateforme sur le sujet
Chez Contexte, on apprend que la future présidence belge veut encourager la solution d’un portefeuille numérique européen. La “Commission entend non seulement proposer une alternative technologique aux « wallets » (portefeuilles) développés par le secteur privé, mais également lutter contre le « login social » proposé par Google ou encore Facebook”
Le temps d’écran, fléau ou opportunité pour les plus jeunes ? Tout dépend du contexte. Décryptage du côté de Nature
Pour ceux qui veulent me rencontrer, je serai le 10 décembre au Salon du Livre de Boulogne-Billancourt
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