Ne plus suivre personne
Une grande réinitialisation des réseaux sociaux semble être de plus en plus souhaitée par les citoyens à travers le monde.
Taboula rasa.
Reddit a sorti un rapport intitulé “Trust, recommendations, and the next era of influence 2024”; la conclusion est sans appel : la confiance est érodée à tous les étages dans les réseaux sociaux. Et à commencer par la confiance d’un point de vue de la consommation et des influenceurs.
“Alors que 40% des utilisateurs des réseaux sociaux ont d'abord entendu parler des produits/services qu'ils ont achetés via un moteur de recherche, un influenceur dans les médias sociaux ou Amazon, ils pensent que ces ressources et la technologie qui les alimentent sont peu sûres, impersonnelles et peu fiables.”
‘Peu sûres’, ‘impersonnelles’, ‘peu fiables’ : les mots ont un sens et décrivent précisément la raison pour laquelle on aime à détester les médias sociaux, ce trop-plein de faux, finalement, après avoir tant espéré mieux des échanges en ligne.
Le nouveau normal de nos vies connectées suit 3 grandes étapes toujours d’après Reddit, elles-mêmes en pleine transformation
la découverte des contenus a remplacé en partie la recherche : les algorithmes nous prémâchent le travail, mais on gagne en facilité ce qu’on perd en précision et véracité
la considération : c’est le moment où une fois dont nous disposons des informations, nous commençons à peser le pour et le contre
la décision finale : la phase où on décide de prendre une action
La désaffection pour l’information porte les graines de cette défiance grandissante. Aux Etats-Unis, d’après le Pew Research Center, les Américains suivent moins les informations qu’en 2016 (38% vs 51%). Pour reprendre nos 3 étapes, cela signifie que les phases où les gens comparent, vérifient, se font une opinion, sont nourries par de moins en moins d’informations au sens journalistique du terme. Pas si étonnant que Threads ait annoncé “déprioriser” les discussions politiques sur sa nouvelle plateforme, non seulement pour se différentier de X mais parce que ces sujets nourries d’informations, d’arguments pour, ou contre, sur la base de sources journalistiques ou au contraire conspirationnistes, fatiguent les citoyens.
Le vent de fraîcheur de Threads au moment de son lancement a sans doute surpris Meta, la maison-mère. Une pépite à protéger, en étant moins un “média” et en revenant à la dimension “sociale” des…réseaux sociaux.
Des faits objectifs pour tout remettre à plat : des réseaux sociaux anxyogènes et dangereux
L’ambiance délétère repose sur des faits objectifs : l’Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA) a publié en novembre 2023 un rapport sur la haine en ligne. Les enseignements de l’analyse sont sans équivoque : même passés à travers les outils de modération, une majorité de posts haineux ne sont jamais détectés ou enlevés. L’effort pour nettoyer les réseaux sociaux et les rendre plus sains requiert un investissement considérable, inégal par rapport à ceux qui savent les manipuler pour des fins néfastes. Les systèmes de modération sont là encore incomplets.
L’année 2023 a aussi été marquée par le mouvement de désinfluence, et de phénomènes viraux sur TikTok d’utilisateurs se moquant en profondeur des hauls ou autres prises de paroles de créateurs de contenus. Cette tendance peut être lue à deux niveaux contradictoires : le premier, le signe d’une littératie grandissante des citoyens qui organisent des formes de contre-pouvoirs numériques contre quiconque franchit la limite entre divertissement et mensonge ; de l’autre, une dichotomie et une conflictualisation toujours plus violente en ligne entre les gens.
Tout réinitialiser : les créateurs de contenus à la rescousse
Alors que nous sommes de façon permanente en ligne, une grande réinitialisation, un grand “reset” sont de plus en plus souhaités par les citoyens.
Maalvika a sorti une vidéo sur TikTok qui a fait grand bruit et qui décrit la situation actuelle :
“We used to say BRB [to our friends when we took a break from texting on the internet], but now we just live here. These little colourful icons are always beckoning, always reachable. The internet is not a place anymore, it’s embedded in all of us.”
Ce que décrit Maalvika, c’est l’impact de cette vivance et le besoin de reprendre le contrôle, alors qu’elle est entrée au plus profond de nos êtres.
Justement aux États-Unis,
, une entrepreneuse de Portland qui crée des vêtements vintage, a écrit un post sans équivoque : I unfollowed everyone.“Now that I don’t follow anyone, when I go to refresh my feed - all I see is my last post. There are no stories for me to skip through. No posts to scroll. The explorer page is tempting and dangerous, but as soon as I open it up - I feel like the wave is going to come crashing down on me. I don’t want to see what others are doing or how they are living. I am over the comparison bingo.”
Taylor Randal
En France, Slanelle, qui blogue depuis 2002 et partage ses nombreuses découvertes (notamment au Japon) à une communauté fidèle a posté ce qui me semble le plus beau pied de nez aux injonctions compétitives dans les réseaux sociaux :
L’argument est en fait puissant : au-lieu de se battre pour des indicateurs de performance imposés et standardisés, il faut revenir à la vraie définition de l’influence. Être en mesure de générer du changement auprès d’une ou plusieurs personnes, parce qu’on est pertinent ou légitime dans un domaine.
Il faut revenir à la vraie définition de l’influence. Être en mesure de générer du changement auprès d’une ou plusieurs personnes, parce qu’on est pertinent ou légitime dans un domaine.
Le retour du réel, en somme ? Vous avez deux heures.
L’expression de la semaine : YouTube Elections
D’après Apar Gupta (Internet Freedom Foundation), les élections en Inde seront hyper influencées par YouTube, plateforme sur laquelle 467 millions de citoyens se retrouvent pour se renseigner sur l’actualité.
Les liens épatants
Magie et technologie sont intimement liées. Décryptage chez
.MSCHF a réussi à conquérir les coeurs (et les feeds des réseaux sociaux). Analyse de la marque très warholienne dans The Guardian
Et si l’intelligence artificielle permettait de sauvegarder la culture orale ? Mise au point chez Quartz
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