Fais de la place
La force des communautés en ligne et des influenceurs est sans doute de savoir créer de la place pour les autres notamment via l'extimité.
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Les réseaux sociaux sont parfois stéréotypés comme le lieu des égos surdimensionnés, du narcissisme péremptoire et d’une guerre de chacun contre chacun.
Pourtant, de nombreuses nouvelles figures parviennent à réunir des communautés autour de démarches communautaires, qui visent soit à éduquer sur un sujet de niche (comme Emmanuelle Sits et ses fameux conseils autour des produits de luxe), ou même à faire entendre la voix de certains publics à travers des récits politiques de fond (je pense en France à Salomé Saqué, ou Nesrine Slaoui).
Catalyseur, médiateur : savoir entendre entre les lignes de code
La clé du succès de ces figures : parvenir à jouer le rôle de catalyseur et de médiateur entre des sujets vécus très profondément, très intimement par des audiences, trouver les mots et expressions justes pour formaliser des émotions et des idées, et nourrir la conversation sur un temps long. Une conversation qui permet à ces audiences de justement se sentir représentées, écoutées, ce qui peut conduire les gens à se sentir plus investis. Voire pour certains à se rendre compte que leurs idées comptent et font la différence.
Le carburant de ces dynamiques social media est justement une fameuse force, la vivance qui s’opère entre l’influenceur et sa communauté. Des formules comme “merci pour la force”, “on lâche rien”, “on vous voit” sont monnaie courante dans les contenus partagés. Yoon Ahn, la co-fondatrice de la marque AMBUSH, résume le rôle de plus en plus important de ces catalyseurs sur Threads :
“Avant, je pensais que la sagesse était la capacité d'être comme Yoda et de dire des maximes intelligentes, mais maintenant je pense que c'est la capacité de recevoir les histoires que les gens vous racontent d'une manière qui leur laisse de la place. Écouter > Parler. Être présent... vraiment présent.”
Yoon Ahn
La logique est intéressante : ce n’est pas un égo qui parle mais plutôt un médiateur qui a su écouter les conversations des gens, tout en parvenant à les synthétiser, à les traduire en des récits plus homogènes. Ce travail de curation est aussi celui d’un auteur : il ne s’agit pas de pondre un résumé mais d’y apporter une direction, un point de vue. Et parfois de prendre des risques, quite à ne pas plaire à tout le monde.
Extimité et contrat de lecture
Ces catalyseurs jouent à plein la carte de l’extimité. Comme évoqué dans mon essai Réseaux Sociaux : une communauté de vie, et sans aller trop en profondeur dans l’oeuvre de Jacques Lacan, on peut simplifier sa définition par un schéma où, en premier lieu, les utilisateurs ont tendance à vouloir partager des informations, leurs histoires, anecdotes, sentiments les plus intimes avec une communauté d’amis ou d’anonymes. En second lieu, on note un effet de loupe grossissante en sens inverse : l’individu peut vivre de façon très intime, très sensible, des événements a priori totalement étrangers à lui, voire dans des régions ou cultures du monde pour lesquelles il n’avait aucune affinité au préalable. C’est évident dans le cas de situations exceptionnelles comme des attentats, des guerres, ou des catastrophes naturelles ; c’est désormais le cas pour des situations plus proches de notre quotidien également.
Ce phénomène d’extimité pousse à faire de la place aux autres. Les comptes sur les réseaux sociaux deviennent des petites agoras pour des gens aux intérêts similaires, ou qui découvrent un sujet qui vont les toucher. Ils créent donc des espaces pour accueillir de nombreux inconnus, étrangers, anonymes, mêlés à des connaissances bien réelles. Avec un véritable contrat de lecture entre abonnés et personnalités.
La superstar des réseaux sociaux Lena Mahfouf résumait le nouveau paradigme de la célébrité à l’ère des réseaux sociaux : « une actrice se met dans la peau de ses personnages, moi, c’est ma peau à moi ». Un glissement entre fiction, réalité, présence et familiarité totalement assumée où l’individu qui se raconte semble traversé par des milliers d’autres moi.
L’impact de cette extimité commence à peine être être analysé. D’après un rapport de l’UNICEF, la notion d’ “informal politics” n’a de cesse d’exploser auprès des plus jeunes, qui ne désaffectent en fait pas du tout la politique mais plutôt les institutions ‘solides’ comme les partis.
À voir qui saura capter ces nouvelles dynamiques ; les leaders d’opinion sont dans tous les cas déjà bien là.
Le chiffre de la semaine : 61%
D’après le Pew Research Center, 61% des répondants de 19 pays estiment que les médias sociaux sont efficaces pour influencer les décisions politiques. Pourtant, la France score plutôt très bas sur quasiment tous les items. Une crise de la représentation politique ?
Les liens épatants
Une grande soirée festive pour les haters ? Çà se passe aux Etats-Unis, et c’est évidemment chic et choc. Décryptage du côté du New York Times.
La Dead Internet Theory est analysée chez Fast Company.
Les companionship content, une notion intéressant chez
(merci pour le lien)
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