Sans toucher, la violence ordinaire
Les mondes immersifs et les réseaux sociaux ont besoin qu'on se tienne la main
Dans les réseaux sociaux ou les mondes immersifs, la vivance - la qualité ou l’état d’être en vie - a besoin de toucher comme jamais. D’après une enquête de NRG de 2021, la possibilité de toucher physiquement les utilisateurs et d’interagir avec eux les font se sentir plus reliés les uns aux autres, tandis que les interactions leur semblent plus authentiques pour 84% du panel. Et 78% estiment que ne pas se toucher physiquement lors des interactions virtuelles leur manquent
En 2002, Tiffany Field, professeure et chercheuse à la University of Miami School of Medicine, sortait une étude majeure intitulée “Violence and touch deprivation in adolescents” (en français : “La violence et la privation de toucher chez les adolescents”).
Un constat sans appel : il existe un lien entre les enfants ou adolescents violents et le manque d’intimité verbale et physique avec leurs parents ou leurs pairs. Ce manque peut s’expliquer par différents facteurs démographiques, sociaux, économiques.
En citant par exemple une enquête de terrain qui comparait 40 jeunes Américains et 40 jeunes Français sur le nombre d’agressions et d’interactions physiques qui se produisaient entre pairs, les Frenchies - qui passaient plus de temps à se toucher entre eux (se pencher sur un copain, s’enlacer, s’embrasser etc.) - étaient moins agressifs dans leurs comportements (que ce soit des violences verbales ou physiques).
Plus fondamentalement, les travaux de Mme Field montrent en fil rouge que le manque d’attention des parents dans la petite enfance crée une plus forte probabilité d'avoir des jeunes gens violents, tandis que des enfants qui ont une intimité plus grande avec leurs parents ont plus d’intérêt à aller à l’école, une estime de soi supérieure, des niveaux de dépression plus bas et des comportements à risque moins élevés. Le câlin pour être plus fort dans la vie. Simple, basique. Donc compliqué.
Scott Galloway, dans sa dernière newsletter, milite pour le retour de l’affection physique. De la marque de tendresse comme vertu, et notamment auprès des jeunes hommes. Pour leur rappeler que le toucher n’est ni un outil de domination ni d’accès à une satisfaction sexuelle. Un sujet dont doivent s’emparer les acteurs des mondes immersifs avant de créer une discothèque en 3D.
Un monde nouveau, on en rêvait tous
Mais que savions-nous faire de nos mains
Un monde nouveau, on en rêvait tous
Mais que savions-nous faire de nos mains
Zéro, attraper le Bluetooth
Que savions-nous faire de nos mains
Presque rien, presque rien, presque rien
Feu ! Chatterton - Un monde nouveau
Le mot de la semaine : algospeak
Les réseaux sociaux tentent (en vain) de censurer et modérer certains types de contenus. Rupi Kaur a par exemple posté la nuit dernière une photo qui avait été enlevée d’Instagram il y a plus de sept ans. En Chine, la censure est telle qu’il devient acrobatique de mentionner Xi Jinping.
L’algospeak, anglicisme qui mêle “algorithme” et “speak”, désigne la façon dont s’expriment les utilisateurs sur des plateformes comme TikTok ou Weibo afin de passer à travers les paramètres de modération. Il peut s’agir de ruses sur la façon dont on écrit ou exprime un mot, qui tendent à se sophistiquer à mesure que les outils renforcent leurs capacités de compréhension. Le contraire de la novlangue en somme.
Les liens épatants
a partagé un fil bien documenté contre TikTok sur son compte Twitter et notamment un article de Carl Bernstein (un des journalistes d'investigation qui a révélé le scandale du Watergate) intitulé "The Idiot Culture"paru en 1992. Une prise de position intéressante qui fait la différence entre le bon journalisme qui est de la culture populaire et le type de contenu qui appauvrit le cerveau.En Roumanie, le Premier Ministre a “recruté” une intelligence artificielle pour le conseiller. Cet article pose une question pertinente : les réseaux, les médias sociaux sont-ils l’équivalent de l’espace public ?
Le Journal du Luxe m’a proposé d’écrire une chronique mensuelle, Le Petit Lexique du Digital. Ce mois-ci : les curateurs et les modérateurs sont à l’honneur.
…C’est tout pour ce mardi ! J’en profite pour remercier encore ceux qui partagent cette petite newsletter à leurs réseaux, contacts, étudiants, camarades, ̶s̶o̶c̶i̶é̶t̶é̶s̶ ̶s̶e̶c̶r̶è̶t̶e̶s̶.