Le népotisme n’est pas un phénomène nouveau. Le “nepos”, le neveu en latin, a émergé au Vatican vers le XVIe siècle. La volonté de placer les pairs, cousins ou autres alliés au sein d’une institution est une façon de préparer l’avenir (et ses arrières).
2022 a été l’année où des millions d’utilisateurs des réseaux sociaux ont commencé à s’agacer des “nepo babies”, contraction de “népotisme” et “bébé” donc, et de l’avantage dont ils disposent quand ils ouvrent un compte sur TikTok ou Instagram. Les plateformes vont généralement offrir le statut de compte vérifié ou officiel à ces filles et fils de, ce qui va contribuer à renforcer la puissance de leurs noms, les exposant à des centaines de milliers de suiveurs potentiels. En effet, tout comme lorsque vous achetez un nouveau smartphone, des applications sont pré-installées, sur les réseaux sociaux certains utilisateurs nous sont fortement recommandés par défaut. Pouvoir de suggestion et pouvoir de prescription se confondent dans un étrange mélange des genres.
Le nom et la filiation deviennent des propriétés intellectuelles ultra rentables; à la différence d’un coup de piston classique, les réseaux sociaux tendent à automatiser la force des comptes des nepos. Et donc des possibilités pour eux de monétiser leur célébrité digitale ou d’avoir encore plus accès à des projets intéressants.
Y a-t-il un contrepouvoir contre ce népotisme digital ? Pas vraiment ; même en cas de bad buzz intense, le “nepo baby” a peu à perdre. Kendall Jenner a par intermittence vu quelques millions de suiveurs partir, ce qui ne l’a pas empêchée d’accumuler 267 millions d’abonnés sur Instagram à date. Une fois une masse critique atteinte, le nepos serait intouchable, sauf à être totalement banni de la plateforme.
La chasse aux népos commence à s’organiser en ligne, ce qui n’est pas non plus un bon signe : si aucun système de balance des pouvoirs ne s’organise sur les réseaux, le risque est une accélération des tensions notamment quand des groupes estiment qu’il y a manifestement abus. Et l’accélération du concept fourre-tout de Cancel Culture ?
La vivance est politique. Un chapitre dans l’essai à venir est dédié à l’aristocratie social media d’ailleurs (ceci est une publicité éhontée, oui).
Le mot du jour : junkorexia
C’est le résultat d’une étude stupéfiante menée par le “Center for Countering Digital Hate” après avoir ouvert différents comptes sur TikTok en se faisant passer pour des enfants de 13 ans : en moyenne, un nouvel utilisateur de TikTok se voit proposer après seulement 30 minutes un contenu qui fait la promotion des troubles de l’alimentation ou de l’automutilation. Ensuite, toutes les 39 secondes, un nouveau contenu de ce type est suggéré à l’utilisateur.
Treize ans. Trente minutes. Trente-neuf secondes.
Parmi les millions de contenus disponibles, la tendance #Junkorexia, qui recoupe les utilisateurs ne se nourrissant que de malbouffe. La mécanique est subtile et complexe à contrecarrer. Si TikTok souhaitait réellement endiguer le sujet, même en bannissant le hashtag, les algorithmes propulsent les utilisateurs de façon automatisée dans des “coins” de la plateforme en phase avec le contenu qui engage le plus la personne. Je dis propulse l’utilisateur plutôt que propage une vidéo, car il s’agit bien de la force de la plateforme : parvenir à coincer des groupes d’utilisateurs de façon fine en temps réel autour d’espaces de contenus qui agissent comme une glue. Diabolus ex Machina !
Les liens épatants
À l’ère où l’on parle de Web 3 et d’organisation autonome décentralisée, parvenir à comprendre l’enjeu des “communs” n’a jamais été autant dans l’ère du temps. À écouter sur le podcast Le Village Global de l’incontournable Frédéric Martel.
“Les communs sont des ressources mises en commun, dont la charge, l'entretien et la jouissance sont partagés entre leurs utilisateurs. Les communs sont donc des biens qui appartiennent à tous et à personne : une conception de la propriété qui dépasse l'appropriation pour lui préférer l'usage.”
colette, Mon Amour. Le documentaire sur la boutique légendaire rappelle comment on a fait vivance à Paris dès 1997 jusqu’en 2017, des prémices des réseaux sociaux à leur mainstreamisation. Accessible encore quelques jours, gratuitement.
…à bientôt !