Lâche ton blaze.
Les alias ou noms d'utilisateurs sur les réseaux sociaux sont un point d'entrée important vers nos identités numériques. Loin de n'être que du marketing, l'alias pourrait bien être très politique.
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Les alias dans les réseaux sociaux sont un élément important de nos identités. Si nos avatars peuvent largement évoluer, le nom d’utilisateur qu’on utilise est normalement fait pour durer. À force d’apparaître dans les notifications, il entre dans les esprits. Il permet à un créatif, à un créateur, d’être plus facilement mémorisé. Mais également à tout un chacun de cultiver sa marque de fabrique y compris dans des cercles amicaux. Les premiers blogueurs mode se faisaient hélés par leurs alias dans la rue, ce qui est toujours le cas d’ailleurs en marge des Fashion Weeks.
En 2016, Aimee Song, plus connue sous son alias “Song of Style”, publiait un ouvrage qui fait toujours référence pour quiconque souhaite mieux travailler son image sur les réseaux sociaux (et notamment Instagram), “Capture Your Style”. Au coeur de ce manuel : l’importance du nom d’utilisateur comme point d’entrée d’un storytelling quotidien, hyper fragmenté en de multiples contenus. Une recette reprise et réinterprétée depuis par des milliers d’influenceurs devenus familiers dans nos feeds, comme le duo derrière jaimetoucheztoi, Alice Barbier & js Roques.
Des codifications culturelles
Il est difficile d’établir un atlas complet de la façon dont nos cultures influencent la façon dont nous choisissons nos noms d’utilisateurs.
Au Japon, l’écriture des alias est très créative. Le nom est souvent complété d’une série de chiffres (qui peut indiquer une date de naissance, un moment important d’une vie), ou bien jouer à plein avec la technique des Goroawase (語呂合わせ, "matching phonétique"). Les chiffres permettent de véhiculer une filiation ou un code culturel en jouant sur leurs prononciations. Le chiffre 893 fait par exemple référence aux Yakuzas.
Cette écriture des alias permet à la fois de transmettre un univers, mais parfois également des références que seul un petit groupe d’amis est en mesure de comprendre. Le changement de la série de chiffres indique fréquemment un nouvel épisode dans la vie de l’utilisateur. Litote numérique qui envoie un signal subtil et favorise une forme d’entre soi.
Une personnalité, de multiples alias
La création des alias joue avec de nombreuses contradictions : se faire connaître facilement mais également maintenir un semblant de vie privée en ligne. Certains individus n’hésitent pas à multiplier le nombre de comptes utilisateurs (et donc d’alias) dans les réseaux sociaux afin de séparer les groupes auxquels ils s’adressent.
Safy-Hallan Farah (
sur Substack) mentionnait déjà en 2017 la relation ambivalente qu’une personnalité entretient avec l’espace public.Having an alt account when you’re highly visible seems like a high-res example of the need to be, or not be, a certain kind of person in public.
Safy-Hallan Farah
Dans un monde sous surveillance panoptique, il ne s’agirait plus de disparaitre des réseaux mais plutôt de savoir quels types de contenus peuvent être distribués et à qui.
Dès 2011, la Chine avait commencé à imposer aux utilisateurs de s’enregistrer sur les réseaux sociaux sous leurs vrais noms et en ajoutant des détails biographiques. En 2023, c’est devenu la règle sur Weibo, Wechat, Xiahongshu ou Douyin. L’alias n’est donc plus seulement un outil de storytelling ou de marketing de soi, mais une protection pour sa vie. Après tout, Jean Moulin avait pris comme alias le fameux prénom “Max”. Les réseaux sociaux ont décuplé ce besoin de confidentialité en gardant bien en tête un problème technique conséquent : tous les liens qui pointent vers un précédent nom d’utilisateur sont cassés s’ils ne sont pas mis à jour avec le nouveau nom d’utilisateur de la personne.
La personnalité contre les goûts automatisés de TikTok
Les alias, en plus d’être une tentative de garder le contrôle sur nos activités en ligne, pourraient également être une action de contrepouvoir contre certains réseaux sociaux.
D’une certaine façon, TikTok a largement réduit la logique de suiveurs / suivis : la plateforme nous abreuve de contenus censés nous plaire, grâce aux mécaniques de concaténation. L’utilisateur - et même l’individu - peut largement disparaitre au profit d’une machine sans véritable début ou fin, qui nous sert un contenu décontextualisé, désourcé en somme. Un jeu que l’extrême-droite a d’ailleurs bien compris en laissant les algorithmes travailler à leurs places : un contenu sans origine se retrouve poussé à l’ouverture de l’application sans que nous n’ayons pas nécessairement manifesté l’envie explicite de recevoir ce contenu. En guise d’analogie de la violence de TikTok, dans le monde pré-internet, on aurait pu appeler ça un corbeau ou un coup de fil anonyme.
Contre cette désincarnation, une forte identité en ligne peut aider à créer de l’affect sur la durée. Un influenceur à l’alias bien connu est en mesure de se faire rechercher en ligne, de créer un lien diffus avec sa communauté, et ce quelle que soit la plateforme. Comme si la vivance d’une personne en ligne - une fois établie - pouvait s’affranchir d’un seul réseau en lui donnant une existence importante.
Lâche ton blaze.
Le chiffre de la semaine : 63%
D’après une étude de TikTok d’avril 2024, 63% des utilisateurs américains souhaitent voir plus de publicités avec des créateurs ou influenceurs qui représentent leurs cultures. Le multiculturalisme (et être bilingue) est un sujet encore mal adressé par les marques en Europe.
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Mon alias a été pendant longtemps “infected”. J’ai du le changer après le COVID 😅
Absolument passionnant