En vivance avec Paul Mouginot
"Il m'est arrivé d'être 'cueilli' par une proposition de la machine, sans que je ne comprenne exactement pourquoi"
Paul Mouginot est un artiste complet : à la fois entrepreneur, poète, inventeur, il explore la création sous tous les angles, notamment à travers l’intelligence artificielle. Décryptage avec un des esprits les plus brillants de notre temps.
Qui es-tu Paul ?
J'ai toujours eu la passion de l'art, des sciences et je les combine depuis toujours dans mes activités. Je suis artiste et mon studio aurèce vettier me permet d'explorer les intersections entre la technologie, l'histoire de l'art, la nature ou encore les techniques artisanales. En outre, je contribue actuellement à développer deux entreprises : stabler.tech qui aide les entreprises à tirer toute la valeur des données sur Internet -c'est ce qu'on appelle le "web scraping"- et bem.builders qui crée des expériences pour les entreprises dans les univers virtuels -aussi appelés métaverses.
Je me rends compte que je continue à suivre mes rêves d'enfants, tout en me nourrissant de grandes quantités de données ou de connaissances. Parfois, j'ai l'impression d'être un enfant qui murmure à l'oreille d'un vieillard.
“Parfois, j'ai l'impression d'être un enfant qui murmure à l'oreille d'un vieillard.”
Paul Mouginot
Est-ce que le monde pré-internet te manque parfois ?
Lorsque je lis cette question, immédiatement me vient en tête la phrase d'Alain Bashung qui m'a toujours beaucoup marqué : "Aucun Valhalla ne vaut le détour".
Lorsque j'ai navigué sur Internet pour la première fois, c'était en 1995 avec mon papa et nous étions allés voir une image de la planète Jupiter sur "The Microsoft Network". A l'époque je me souviens avoir été fasciné même si le chargement de cette image, terriblement lent, a dû lui coûter cher en abonnement téléphonique !
Je dirais que j'ai une nostalgie mais plutôt de l'enfance, comme beaucoup d'entre nous, et les "ding-dong" du modem en faisaient partie, tout comme beaucoup d'odeurs ou de sensations. Lorsque j'étais adolescent, j'adorais assembler des unités centrales type 486, des modèles déjà largement obsolètes dont je récupérais des composants çà et là. J'ai appris plein de choses tout seul et cela continue aujourd'hui.
Je comprends ta question car je fais partie de la dernière génération qui est née sans Internet et qui a grandi avec. Mon ancrage est surtout dans le monde réel et j'ai par exemple un rapport assez distant aux réseaux sociaux. Je comprends qu'ils sont utiles mais ne sens pas le besoin d'y projeter en permanence tous les pans de mon identité.
Je ne suis pas certain que le monde pré-Internet était davantage désirable, il était juste profondément différent. Et à présent, je m'intéresse beaucoup au métaverse avec l'équipe de bem.builders car j'ai la conviction que "l'ambiant internet" est le prochain paradigme du web.
Tu as très tôt exploré l'intelligence artificielle, notamment pour des explorations artistiques : tu mentionnes souvent que tes modèles d'IA t'aident à réfléchir différemment. Et que parfois les textes générés deviennent vrais, sincères quelques années plus tard. Peux-tu nous expliquer comment ces idées prennent vie (ou vivance) ?
Les modèles IA que j'utilise dans le cadre de mon travail artistique sont tous entraînés sur des données personnelles -voire intimes- que ce soient des textes, des images, des sons, des recettes. Ainsi, ce que j'obtiens en sortie de ces modèles constitue un gisement tout à fait personnel, que j'exploite ensuite pour créer des alphabets, des peintures, des sculptures et beaucoup d'autres travaux.
Lorsque j'ai écrit des textes en collaboration avec des algorithmes génératifs tels que des chaînes de Markov, GPT-2 ou GPT-3, il m'est arrivé d'être "cueilli" par une proposition de la machine, sans que je ne comprenne exactement pourquoi. A l'époque, je l'ai accepté et j'ai conservé le texte. Un bon exemple est mon poème "Last Night Before the Ascent”
Il faut partie du projet Etherpoems qui était le premier projet à avoir envoyé de la poésie à l'intérieur même de la blockchain Ethereum. Sans trop rentrer dans les détails, ce poème devient de plus en plus vrai pour moi avec les années -tout comme le reste des poèmes que j'ai minté dans le cadre de ce projet.
“Ce poème devient de plus en plus vrai pour moi avec les années”
Paul Mouginot
De la même façon, ma dernière exposition "Circular Ruins" à la galerie darmo a déployé un ensemble de 33 tableaux dont les visuels, générés par IA à partir de descriptions de mes rêves, m'ont permis d'approcher les sensations que je notais à mon réveil. Le fait d'entraîner les modèles IA sur mes photos et mon écosystème esthétique m'a permis d'atteindre une grande précision dans la représentation de ces rêves.
Dans les réseaux sociaux (et pas que), certaines idées ont justement une démarche beaucoup moins honorable, beaucoup moins sincère, fausse. Et pourtant beaucoup de gens se mettent à y croire (par exemple : que la terre n'est pas ronde). D'après toi, comment utiliser certaines nouvelles technologies afin d'endiguer ces phénomènes, tout en maintenant une certaine liberté ?
C'est un peu le jeu du chat et de la souris. Par exemple, l'outil GPTZero permet de tester si un texte a été généré par IA mais il est assez facile de le contourner. Inversement, on observe les premiers cas de journalistes dont les textes -pourtant originaux- sont faussement interprétés comme ayant été générés par une IA.
J'ai du mal à me faire une conviction précise sur le sujet car d'un côté, j'ai la culture open source et j'aime la liberté, et de l'autre, de fausses informations combinées à un effet réseau important peuvent produire des effets catastrophiques.
Dans mon domaine et au quotidien, j'essaie au maximum de penser ma pratique avec mes équipes, et de m'assurer notamment que nous n'introduisons pas de biais dans notre approche. Et lorsqu'un problème arrive, nous l'analysons, et nous le corrigeons.
La meilleure chose qui te soit arrivée grâce aux réseaux sociaux ?
Grâce aux réseaux sociaux -notamment Twitter et depuis de nombreuses années- j'ai un dialogue fascinant avec des centaines d'artistes IA dans le monde entier.
À une époque, j'avais même l'impression d'être à Saint Germain dans les années 60 et nous échangions des oeuvres, des idées, du code. Depuis, j'ai pu en rencontrer beaucoup "en vrai" et c'est un bonheur.
“À une époque, j'avais même l'impression d'être à Saint Germain dans les années 60 et nous échangions des oeuvres, des idées, du code. Depuis, j'ai pu en rencontrer beaucoup "en vrai" et c'est un bonheur.”
Paul Mouginot
Quelques liens pour dormir plus intelligents ce soir ?
- Mon frère Adrien Mouginot avec qui j'ai co-fondé bem.builders m'a transmis sa passion pour un alpiniste et réalisateur appelé Marcel Ichac et nous collectionnons tous ses ouvrages. Son film de 1958 "Les Étoiles de Midi" me fascine :
- Le livre d'entretiens entre Vincent Baby et Vera Molnar : https://www.oniris.art/news/48-entretien-avec-vera-molnar-avec-vincent-baby/
- Kafka sur le rivage de Haruki Murakami
- Pour le plaisir et pour faire travailler ses neurones, je vous invite à notre chasse au trésor "The Lost Wallet" organisée avec bem.builders et la Non Fungible Conference qui démarre ce 1er mars et qui va durer 24 semaines. Pas de panique, vous pouvez rejoindre le train en route !
Merci !
Crédits photos : Elya Saiapina
"Les modèles IA que j'utilise dans le cadre de mon travail artistique sont tous entraînés sur des données personnelles". C'est assez coté volume pour fine tuner un modèle?