En vivance avec Géraldine Dormoy
"Internet n'était pas une grande machine impersonnelle et dangereuse. C'était un lieu où je pouvais trouver de l'aide et me faire des amis."
Géraldine Dormoy est un personnage extraordinaire : j’ai d’abord découvert son univers à travers son blog, Café Mode, probablement un des espaces les plus connus à l’ère pré-Instagram. Nous avons pu brièvement travailler ensemble pour L’Express Styles (où Géraldine pilotait l’équipe éditoriale web). Et puis Géraldine a connu des batailles, qu’elle a menées - comme d’habitude - avec délicatesse et justesse (lire à ce sujet son ouvrage “Un cancer pas si grave”). Depuis Montélimar, Géraldine anime une newsletter passionnante : De beaux lendemains. Tout en continuant ses activités de journaliste et de coach Instagram. Morceaux choisis de notre échange.
Géraldine, tu te souviens de la première fois que tu t'es connectée à internet ?
Mes premiers souvenirs ne sont pas des souvenirs de connexion. Internet, j'en ai entendu parler avant de pouvoir moi-même l'expérimenter. Il y a d'abord eu cette pub IBM avec des religieuses, en 1995. Je ne comprenais rien à ce qu'elles se disaient, mais internet avait l'air d'être un truc drôlement cool !
La même année, une amie a frimé en me disant que ses copains de la fac de Dauphine passaient leurs commandes Pizza Hut depuis internet. Tout ça n'a fait qu'augmenter à mes yeux la coolitude supposée du truc.
Quand mon père a fini par acquérir son premier modem et m'a montré comment "surfer" sur internet, mon premier réflexe a été d'aller chercher de l'info mode, ma passion. J'ai trouvé une photo de défilé, et n'ai rien trouvé de plus intelligent que de l'imprimer en grand format. J'ai vidé sa cartouche d'encre, j'avais une image qui ne me servait à rien... le début d'un long chemin d'expérimentations.
Te rappelles-tu de la première fois que tu t'es sentie en vie en ligne ?
Il y a eu plusieurs étapes. Mes débuts sur internet ont vraiment commencé en 2000, quand j'ai découvert le forum de boulimie.com. J'avais des troubles du comportement alimentaire, des compulsions qui me minaient et dont j'avais honte. C'était très tabou à l'époque, bien plus qu'aujourd'hui, et les infos encore rares. Je suis tombée sur ce forum, et soudain, je me suis sentie reliée à d'autres personnes qui avaient le même problème que moi, qui me comprenaient, qui ressentaient la même honte de trop manger, les mêmes angoisses de grossir.
Ça m'a fait un bien fou. Et ce qui a été vraiment génial, c'est que l'on a fini par se voir "IRL", in the real life. On s'est retrouvées plusieurs fois, Au Père Tranquille puis au Café Beaubourg, à Paris. Ces moments ont été cruciaux dans mon rapport à internet : dès le départ, j'ai eu confiance. Internet n'était pas une grande machine impersonnelle et dangereuse. C'était un lieu où je pouvais trouver de l'aide et me faire des amis.
Ces moments ont été cruciaux dans mon rapport à internet : dès le départ, j'ai eu confiance. Internet n'était pas une grande machine impersonnelle et dangereuse. C'était un lieu où je pouvais trouver de l'aide et me faire des amis.
Géraldine Dormoy
La seconde étape, ce fut la création de mon blog, Café Mode, en 2005. On était au début du phénomène des blogs mode, propulsé par les premières plateformes gratuites, accessibles même si on n'y connaissait rien techniquement, ce qui a toujours été mon cas. J'ai ouvert le mien sur Haut et Fort. Ça a tout de suite pris. Je n'avais pas des tonnes de lectrices, mais j'avais des commentaires. Et ça, vraiment, ça m'a fait me sentir vivante. Je balançais une bouteille à la mer et - surprise ! - des inconnus me répondaient. C'était magique et je continue de m'émerveiller de tout ce qu'internet a rendu possible.
Ton point de vue entre la jeune fille pré internet et la femme post internet, par rapport aux grandes incertitudes que peuvent procurer les réseaux sociaux ?
Je prends comme une chance d'avoir pu mûrir en même temps que les réseaux. J'ai démarré sur la Toile à ses balbutiements. J'étais naïve mais ce n'était pas un problème car nous l'étions tous, par la force des choses.
Ne pas céder à l'autocensure est un travail quotidien
Géraldine Dormoy
La situation s'est progressivement complexifiée à mesure que les réseaux sociaux ont pris de l'ampleur, mais j'ai eu le temps d'apprendre à naviguer dans ses eaux houleuses, grâce notamment à mes 10 ans à la rédaction web de L'Express. Un jour je me suis pris un mini bad buzz à cause d'un post de blog sur les banlieues : cette expérience m'a énormément aidée à trouver la bonne distance avec le public. Cela dit, le contexte était bien moins violent qu'aujourd'hui. Je comprends que la majorité des gens se méfie des réseaux. Le politiquement correct gagne du terrain. Ne pas céder à l'autocensure est un travail quotidien, mais il en faudrait plus pour brider mon enthousiasme : internet demeure pour moi le plus excitant des terrains de jeux.
Merci Géraldine !
Crédits photos : Elsa Leydier