Ce qui est rare, est chair
Les réseaux sociaux sont en train de vivre une crise d'adolescence, entre rejet de leur dimension média et envie de connexion.
C’est la 31ème édition d’En Vivance ! Merci d’avoir suivi mes pérégrinations autour de la vivance depuis 6 mois et si je vous manque cet été (ahah), vous pouvez toujours consulter le guide thématique !
Ethan Zuckerman, professeur à la University of Massachusetts Amherst, rappelait dans le New York Times que dans le futur, nous ferons tous partie de dizaines de communautés différentes, car en tant qu'êtres humains, c'est ainsi que nous sommes constitués.
Le retour du social, lien précieux
Groupes de voisins, de parents d’élèves, de sportifs du dimanche, de collectionneurs de montres : nous utilisons déjà des outils de curation et de discussion en fonction de nos besoins ou envies. Un argument de bon sens, qui va vent debout contre les discours des grandes plateformes. Elles misent sur une hégémonie toute relative à plus ou moins long-terme; de quoi rassurer les investisseurs et les actionnaires en leur vendant la dimension “média” des réseaux sociaux. Pourtant, l’expérience chinoise avec WeChat, la mega (voire meta) application par excellence, sur laquelle on peut littéralement tout faire, prouve qu’il reste toujours de la place pour nos besoins sociaux ou économiques, dans pléthore de niches.
L’individu traversé par les algorithmes cherche à se lier soit à du contenu qui l’enthousiasme ou le réconforte (comme TikTok dans une certaine mesure), soit à d’autres gens quand les contenus deviennent une matière sociale (t’as vu la dernière trend Wes Anderson? A M A Z I N G).
Le sujet personnel, immense responsabilité collective et source de valeur
Dans un entretien diffusé sur France Culture, le sociologue Alain Touraine proposait une analyse comparative entre la révolution industrielle et la révolution numérique en cours. Pour Touraine, en très résumé, la révolution industrielle a eu comme promesse de créer le progrès en changeant les choses. Choses qui ont trait à l’outil de travail, mais aussi à la façon dont étaient considérés les gens. A contrario, La révolution numérique est censée créer du “mieux” en changeant les sujets personnels. Sa réflexion - pourtant née bien avant l’aube des réseaux sociaux - est d’une incroyable précision. Selon lui, ce n’est plus la société ou les corps intermédiaires qui parviennent à clairement établir ce qui est juste, ou mal. C’est l’individu, en cherchant à devenir l’auteur de sa vie, qui doit devenir le moteur éthique de la société dans son ensemble. C’est l’individu, qui en s’agrégeant aux millions d’autres, peut lancer un mouvement, se sentir investi d’une mission qui part à la fois de lui et de sa connexion avec les autres, et qui peut induire du changement positif. Les exemples sont multiples dans l’actualité récente. Clémentine Vergnaud a ouvert un journal sous la forme d’un podcast - “Ma vie face au cancer”- qui aide à mieux comprendre ce que vivent les malades. Même dans la sphère du business, des marques indépendantes adaptent cette démarche du “sujet agissant”. Je prends souvent l’exemple de Versatile Paris, véritable saga qu’on peut suivre presque comme une série dans laquelle nous ne sommes plus de simples clients mais presque des supporters.
Ces sujets personnels sont la hantise des dictatures et des ultra conservateurs. Parce qu’ils ont par essence vocation à proposer une redéfinition de ce qui est normal (plutôt que de proclamer un retour vers un pseudo paradis perdu), parce qu’ils prennent de la place et secouent le statu quo. Et qu’ils réclament une forme de dignité à leur sujet, ce qui a tendance à exciter les réactionnaires.
Et ce que valent nos vies dans les réseaux sociaux ?
Qui dit sujets personnels dit aussi place de la valeur des vies documentées, partagées, connectées en ligne. Et de la documentation de nos existences. La vivance vaut quoi à la fin ?
Des signaux plus vraiment faibles sont en marche. BeReal - à sa genèse - avait ouvert le bal en proposant une diffusion limitée à un seul contenu par jour pour débloquer les contenus postés par des “vrais” amis. Une façon de diminuer les effets de viralité non souhaités et de se concentrer sur les liens réels. Plus atypique encore, Minus Social, une expérimentation menée par Ben Grosser commandée par l’arebyte Gallery.
La promesse est provocatrice :
“Minus est un réseau social fini où vous disposez de 100 publications pour toute votre vie. Bien que vous puissiez répondre à une publication autant de fois que vous le souhaitez, à chaque fois que vous ajoutez quelque chose au flux, cela se soustrait à votre total de publications restantes. Lorsque vous atteignez 0 publication, c'est fini. Aucune exception. (…).
Quelle sera la désorientation d'interagir sur une plateforme qui ne cherche pas à susciter un engagement sans fin à chaque seconde de votre vie éveillée ? Que direz-vous ou que créerez-vous lorsque vous serez libéré de la demande infinie ?
(…) Tout comme la vie, Minus a ses limites.”
Ou en d’autres termes, ce qui est rare est…chair.
Le chiffre de la semaine : 10 milliards
My AI, le chatbot de Snapchat, a déjà été utilisé par 1 utilisateur sur 5 (soit 150 millions de personnes) depuis son lancement, qui ont généré environ 10 milliards de messages.
Personne ne sait s’il s’agissait de mécanique quantique ou de demande pour trouver de la drogue. (Oui, j’ai parfois le droit d’avoir des mouvements d’humeurs).
Les liens épatants
YouTube a sorti son dernier rapport de tendances; à lire pour comprendre certains nouveaux usages, notamment autour de la notion de fan
Une étude de UCLA révèle l’impact du COVID-19 sur le capital social des personnes en couple avec une confirmation : les minorités sont les plus affectées par les mesures d’isolement
Comment détecter un idiot ? C’est souvent la personne la plus cruelle dans l’assemblée et c’est très juste dans les réseaux sociaux
Lise Pierron est une personne rare, qui a décidé de partager un petit peu de sa vie avec nous, notamment au Sénégal. Je n’en dis pas plus. Allez voir si vous ne croyez plus en l’humain
…à bientôt !
I saw Ben Grosser's exhibition by Arebyte and loved it. Especially fond of the doomscroller! https://endlessdoomscroller.com/