L'influence : fulgurance ou permanence ?
Trouver sa voix, sa touche, et être reconnu par une communauté prend des années à construire. De nouvelles figures émergent sur les réseaux sociaux.
Nouvelle édition, écrite sous la pluie de Paris. Cette semaine, on parle temps long et identité numérique. Vous pouvez aussi lire ce post en anglais. Et toujours découvrir mon livre.
Les conseils pour devenir un influenceur en quelques semaines explosent en ligne. Sur LinkedIn, des entreprises proposent de vous faire obtenir un badge Top Voice en moins de 10 jours, un supposé gage de qualité pour asseoir votre crédibilité et vous permettre d’acquérir plus d’abonnés. Meta a lancé en 2023 son programme Meta Verified, qui promet en échange d’un abonnement de pouvoir mettre sur son profil Instagram le fameux “blue tick emoji”. Ce qui était auparavant une forme de Graal, de reconnaissance (parfois injuste, au même titre que n’importe quel trophée), est tombé dans le domaine du transactionnel.
Une confusion des genres s’est opérée : l’influence - une notion relative - a perdu une partie de sa dimension méritocratique. En oubliant qu’elle se crée progressivement, qu’elle est donnée par des pairs dans son domaine, qu’elle consacre une forme de travail et une reconnaissance par un groupe plus ou moins large.
Réalité objective : un coup d’éclat ne crée pas l’influenceur
Les contenus publiés en ligne peuvent réussir à atteindre des chiffres astronomiques, notamment sur TikTok. La découverte des vidéos ne se traduit pourtant pas si souvent en un nouveau statut pour l’auteur. Au mieux quelques milliers de nouveaux abonnés qui - s’ils sont pourtant désormais vos followers - ne vont de toutes les façons pas systématiquement voir vos nouvelles publications. Ni vous offrir du jour au lendemain la reconnaissance souhaitée. En d’autres termes, même si l’ “engagement farming”, ces techniques faites pour gonfler artificiellement les interactions sous les posts, semble faire partie de la boite à outils, l’impact réel est faible pour consacrer réellement un influenceur et même le rendre identifiable. Meta Media cite la journaliste Julia Alexander :
« Il se peut que nous ne reconnaissions même pas la plupart des personnes que nous voyons […] Nous postons moins pour consommer plus ».
Julia Alexander
Le temps de prendre vie dans le coeur des gens : l’exemple de la mode
En France et dans la sphère mode (et pas que), Sophie Fontanel, journaliste et plume de renom, a pris le temps de construire une identité reconnaissable entre mille. D’abord une façon d’écrire ses posts Instagram : toujours un jeu entre sa version française, souvent assez longue, et une traduction en anglais toujours un peu à côté, plus punchlinesque, qui fait à la fois marrer les francophones et les internationaux.
Sa chevelure blanche bien sûr (elle en a même fait un livre, Une apparition). Et une régularité dans ses publications.
On appelle ça un contrat de lecture en somme : ce que fait Sophie Fontanel, c’est du Sophie Fontanel.
Les exemples peuvent être multipliés : Jordan Maurin et ses conseils pour le vestiaire masculin, à la croisée du vaudeville et du personal shopping. L’esthétique invraisemblablement travaillée de Kiwi Lee Han, une des premières à avoir exploré une écriture proche du court métrage pour ses collaborations avec les marques, avec une touche d’humour bien trempée.
Peu importe finalement l’exécution ou le moyen d’opérer : toutes ces personnalités ont su trouver une touche, une vibe, qui leur est attribuable, facilement compréhensible, et qui donne envie de revenir sur leurs comptes comme on se rend dans nos cafés préférés. En somme, le désir de les suivre pour un bout de (leur) vie et de se laisser le temps de s’attacher.
N’en avoir plus rien à faire et…simplement kiffer
Le marché de l’influencer marketing est à un tournant ; au-lieu d’essayer de copier des stratégies obsolètes, qui reposent uniquement sur des critères de performance, on constate que les belles histoires, les vrais beaux talents représentent ce qui a le plus de valeur pour les humains, à petite ou grande échelle. Sur Substack, les exemples sont là aussi nombreux ; des talents qui n’avaient pas nécessairement l’envie d’aller plus loin sur Instagram ou TikTok réussissent à entrer dans le quotidien des gens à travers leurs façons uniques de voir le monde. Je pense par exemple à
de qui mêle mode et culture food, dont chaque nouvelle édition est un moment de gourmandise intellectuelle.Le kiff est contagieux ; je crois qu’après une phase de découverte et d’expansion des réseaux sociaux, il y a une volonté de retrouver des espaces hasardeux, déroutants, qui permettent non seulement de capter l’attention mais surtout de nourrir une vraie appétence pour le beau, le bizarre, l’érudit ou l’anecdotique.
Une vivance - la qualité ou l’état d’être en vie - qui permet aux influenceurs d’exister au-delà de leurs moyens de publications pour entrer durablement dans l’esprit des gens. C’est sans doute ça le vrai succès : se souvenir de quelqu’un et être capable d’en parler sans consulter son téléphone.
Le chiffre de la semaine : 10 millions
C’est une des images qui restera dans l’histoire des Jeux Olympiques. La photo du surfer brésilien Gabriel Medina, prise par Jérôme Brouillet, a dépassé les 10 millions de “likes” sur Instagram.
Les liens épatants
La “gross beauty aesthetics” explose dans les réseaux sociaux. Le gore serait-il une forme de réponse contre un monde incertain ? (Dazed)
Les outsiders sont les nouveaux insiders, et deviendraient les figures les plus inspirantes de notre génération. (Columbia Journalism Review)
Comment Google Maps a d’abord échoué puis réussi en Inde. (Elizabeth Laraki)
Bonne semaine ! Mon essai “Réseaux sociaux : une communauté de vie” est toujours disponible chez vos libraires. La version anglaise “Alive In Social Media” est désormais disponible sur Amazon.
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